Accompagnement fin de vie

Nous allons écouter une réflexion de Dominique Beaufils, médecin, chirurgien des hôpitaux, membre de la SFAP, et diacre l'Eglise Orthodoxe, sur l'accompagnement des personnes en fin de vie.

 Il y a, dans l'Orthodoxie, une théologie de la maladie, de la souffrance et de la mort très riche et très belle parce qu'empreinte d'espérance et de consolation. Il n'est pas possible de la développer ici, mais je voudrais en montrer trois aspects qui mettent en lumière la pensée orthodoxe sur l'accompagnement de fin de vie. La vie vient de Dieu et mène à Dieu. La mort, fait partie de cette vie. Elle en est un moment et non l'étape ultime. Elle ne représente pas une fin, c'est-à-dire un point d'arrêt, un mur au delà duquel il n'y a plus rien, mais elle est une porte qui mène de la terre au ciel, d'une vie sur terre à une vie dans l'au-delà. Elle est une nouvelle naissance, une naissance à la vie éternelle et, par là, elle représente un passage dans la continuité de la Vie. Nous en verrons plus loin l'incidence pratique sur ce que nous appelons la " souffrance totale ".

 Durant la partie terrestre de sa vie, l'homme créé à l'Image de Dieu chemine vers la ressemblance, pour reprendre les termes de la Bible. Cela signifie tout simplement qu'il cherche, tout au long de sa vie, à se rapprocher de Dieu, en tirant profit pour cela des grâces que Dieu propose à tous les hommes, qu'ils peuvent reconnaître ou sur lesquelles ils peuvent fermer les yeux, tels des aveugles volontaires, qu'ils peuvent utiliser dans leur cheminement vers Lui, ou qu'ils peuvent négliger, les confondant avec un hypothétique " hasard ". Car, si l'Image de Dieu est " imprimée " dans l'homme, comme archétype, comme matrice de la création, la ressemblance, qu'on pourrait aussi appeler la " sainteté ", est le but qui est laissé à sa liberté, et vers lequel il doit tendre, même sans toujours l'atteindre.

 Tous les événements de notre vie peuvent nous aider dans ce cheminement vers Dieu, que ce soient les joies, mais aussi les épreuves, les peines, les souffrances, les maladies. Si la fin de la vie est marquée par la maladie, les souffrances et l'angoisse, elle peut aussi être une voie pour avancer vers Dieu. Elle est alors une période essentielle qui doit être pleinement vécue. On ne peut l'interrompre avant terme par une euthanasie pas plus qu'on ne peut la prolonger artificiellement par un acharnement thérapeutique.

 La vie d'un chrétien orthodoxe est une vie de communauté fraternelle, excluant toute individualisme. Cette communauté exprime plus qu'une solidarité, car elle traduit une unité dans un corps unique, qui est le corps du Christ, dont chacun de nous est membre. La maladie, la souffrance d'un être quel qu'il soit, sans préjuger de sa foi ou de son agnosticisme, est la souffrance de tous, comme l'exprime Saint Paul en disant : " Un membre souffre-t-il, tous les membres souffrent avec lui " (1 Co.12,26). Dans cette unité, chacun porte la souffrance de son frère, et l'Eglise toute entière porte la souffrance de tous les êtres. L'accompagnement de fin de vie, est donc une donnée naturelle de la vie de l'Eglise.

 A partir de ces éléments théologiques, dans quelle mesure peut-on dire qu'il existe une conception " orthodoxe " de la pratique de l'accompagnement de fin de vie et des soins palliatifs ?

 C'est là une autre question. D'un côté, le malade en fin de vie, l'être souffrant, qui est confronté à une mort qu'il sait proche, se trouve, s'il a une foi, face à son Dieu, dans un rapport intime entre l'être créé et son Créateur. Et ce face à face ultime échappe à tout dogme, mais il est uniquement du domaine de la vie, dans ce qu'elle a de plus personnel, du domaine de l'Amour entre Dieu et l'homme. De l'autre côté, il y a celui qui, quelle que soit sa foi, accompagne un malade, un être souffrant qui ne demande pas une catéchèse ni un enseignement, mais qui demande uniquement à être aidé, à être aimé. Cela échappe également à tout dogme, mais est uniquement du domaine de la vie, du domaine de l'amour.

 Il y a ainsi une rencontre entre un être dont la vocation est de témoigner de sa foi dans toute sa vie, dans chacun de ses actes, dans chacune de ses paroles, et un être essentiellement défini pas sa liberté, une liberté que Dieu a imprimé en tout homme en le créant à Son Image. Et, cette liberté appelle le plus grand respect, en particulier à ce stade de la vie. Cette rencontre doit se situer dans une unité centrée sur le malade, et où Dieu est invisiblement présent, un Dieu Qui aime sans S'imposer. Une telle rencontre est toujours un échange mutuel dans lequel accompagnant et accompagné trouvent le même enrichissement.

 On comprend alors qu'on ne peut pas parler de ce que l'on appellerait de façon générale " l'accompagnement " de la personne ou du malade en fin de vie, car, en tant que chaque être est unique, chaque accompagnement est unique. On ne peut pas non plus tenter de définir une conception orthodoxe de l'accompagnement, mais on ne peut que témoigner des valeurs fondamentales de la foi qui sous-tendent chaque accompagnement, valeurs fondamentales dont on ne peut pas prétendre, à ce stade de la vie, que l'Orthodoxie a l'exclusivité.

 Je ne ferai donc ici que tenter d'apporter le témoignage de la pratique d'un médecin qui cherche à être témoin de Dieu et à mettre en œuvre sa foi orthodoxe dans sa vie, et en particulier dans son ministère de médecin, qui est en même temps un ministère d'accompagnement.

 Comment situer le lien entre accompagnement et témoignage ?

 On peut dire que l'accompagnant a un rôle double, qui est en même temps un témoignage de société et un témoignage personnel. Un témoignage de société, non seulement en manifestant au malade la solidarité de la société, mais en lui montrant que, jusqu'au dernier moment, il a une part à cette société, qu'il y a un rôle, en tant qu'il reste jusqu'au bout un être humain bénéficiant de la plénitude de sa dignité. Un témoignage personnel, en s'impliquant dans un rapport d'aide qui s'appuie sur une relation de personne à personne.

 Mais, pour un chrétien, la vie de l'Eglise est indissociable de la vie quotidienne, sociale, professionnelle, familiale. Un témoignage de société est donc en même temps un témoignage d'Eglise, dans l'unité et la compassion de l'Eglise que nous avons vu définir par Saint Paul comme la souffrance de tous. De même, un témoignage personnel est un témoignage de fraternité dans le Christ, dans une relation de communion, à l'image de Simon de Cyrène portant la croix du Christ.

 Dans la pratique, ce témoignage d'Eglise, de fraternité en Christ n'a pas besoin, de carte de visite ou de badge. Le témoignage est tout entier dans l'attitude, dans le comportement. Il ne nécessite pas obligatoirement de parler d'Eglise ou de Dieu. Il ne s'agit pas de refuser de parler de Dieu, mais d'accepter que, seul, le malade peut aborder le sujet, s'il en ressent le désir ou le besoin. L'aborder soi-même risque de mettre tout l'accompagnement en situation d'échec.

 Alors je dirais que, pour un accompagnant, comme pour un médecin orthodoxes - et je préférerais dire tout simplement chrétiens - le premier principe de tout accompagnement de fin de vie est de concilier de façon harmonieuse le témoignage et le respect de la liberté du frère. C'est de cela que je voudrais maintenant aborder brièvement les données pratiques.

 Quelles sont les implications de la liberté de l'être ?

 Chaque être est unique. Etant unique, il est différent de tous les autres, et cette altérité culmine dans ce que l'on peut appeler le " mystère de l'être ", mystère qui n'est connu que de lui, que même lui ne peut pas pénétrer totalement, et qui n'est connu que de Dieu, Le Seul qui " sonde les reins et les coeurs " (Ps.7,10). Ce mystère est inconnaissable parce que l'Archétype de la création est inconnaissable. Il est inviolable, on ne peut pas le saisir, on ne peut pas chercher à l'accaparer de l'extérieur. Il ne peut que se donner, se révéler dans une relation inter-personnelle qui est un rapport de communion des êtres, un rapport d'Amour.

 En ce sens, l'indiscrétion, la quête de confidences représentent une forme de viol de ce mystère. Le respect de ce mystère de l'être, qui est le respect de sa liberté, est essentiel dans tout rapport, (cela se vérifie en particulier dans la vie conjugale). Il doit être la base fondamentale de tout accompagnement. Ce mystère de l'être détermine le mystère de la souffrance totale, dont on sait qu'elle est la résultante de nombreux éléments que l'on pourrait classer en composantes physique, psychique, socio-culturelle et spirituelle. Parmi elles, la composante spirituelle est l'élément modulateur essentiel qui va aider à supporter, à assumer les épreuves, à leur donner, sinon un sens, du moins un éclairage, une lumière et cela essentiellement en fonction de la façon dont on envisage la vie et la mort. Nous avons vu que, pour un orthodoxe, la mort n'est pas une fin, un retour au néant, mais une nouvelle naissance, une entrée dans la vie éternelle, dont la perspective est la résurrection.

 Le mot-clé est ici la Résurrection du Christ, car c'est Lui qui est notre résurrection. Si les épreuves que nous vivons nous conduisent à une mort, synonyme de retour au néant, elle sont stériles et désespérantes et, nous dit Saint Paul, " s'il n'y a pas de résurrection des morts, buvons et mangeons, car demain nous mourrons " (1 Co.15,32). Par contre, si nos épreuves, notre mort nous mènent à une Vie éternelle, elles sont empreintes d'espérance, de consolation et, dit encore Saint Paul, " nos détresses d'un moment sont légères par rapport au poids extraordinaire de la gloire éternelle qu'elles nous préparent " (2 Co.4,17).

 Rappelons-nous que le Christ compare ces épreuves aux douleurs de l'enfantement qui font place au bonheur dès que l'enfant est né (Jn.16,21). Ainsi la nouvelle naissance, la naissance à la vie éternelle efface aussi les souffrances, les angoisses qui y ont conduit, pour jouir du " lieu de lumière, de fraîcheur et de paix, où il n'y a plus ni peine, ni tristesse, ni gémissement, mais la vie éternelle ", selon les termes du rituel orthodoxe des funérailles.

 Cette composante spirituelle détermine, en grande partie, le comportement du malade, qui peut connaître tous les degrés, allant de l'acceptation sans limite (mais est-ce bien naturel, ne risque-t-il pas y avoir là une forme d'exaltation éphémère ?), jusqu'au refus total qui mène à la détresse et au désespoir sans changer quoi que ce soit au caractère inéluctable de la mort. Entre ces deux extrêmes se situe la position équilibrée qui est, pour la théologie orthodoxe, celle du Christ à Gethsémani : " Père, s'il est possible, que cette coupe s'éloigne de Moi, mais que Ta Volonté soit faite et non la Mienne " (Mt.26,39), où l'être exprime son désir légitime de santé et de vie, tout en manifestant sa confiance en Dieu.

  Le comportement du malade est une expression de sa liberté, qui va pouvoir s'exprimer dans une foi (mais laquelle ?), dans une philosophie ou même dans un agnosticisme total. Mais il appelle toujours le plus grand respect car, une fois encore, l'accompagnement n'est pas un prosélytisme.

 Quels sont alors la nature et le mode de ce témoignage ?

 Permettez-moi d'abord, parce que je suis à la fois théologien et médecin, de parler d'un problème thérapeutique que je considère comme parfaitement lié à la foi orthodoxe. La souffrance peut être assumée jusqu'à une certaine limite. Nous avons vu qu'elle peut être, par la façon dont elle est assumée, une voie pour avancer vers Dieu. Mais elle ne peut pas être recherchée pour elle-même. Parler de son aspect " rédempteur " risque d'induire un raisonnement conduisant à une forme de mortification totalement étrangère à la pensée orthodoxe.

  L'homme n'a pas de vocation à la souffrance. Sa vocation, c'est la sainteté. Il ne faut alors jamais perdre de vue qu'au delà de la limite du supportable, la souffrance et l'angoisse réduisent le malade à une chair souffrante, devenue incapable de penser, incapable de prier, ou, pire, acculée à la révolte. Alors, pour un médecin, comme pour chaque membre de l'équipe soignante, le premier témoignage et le témoignage essentiel, est l'efficacité de la prise en charge de la douleur, de l'angoisse, de tous les symptômes qui minent ce malade, tout en lui préservant, autant que possible la conscience, pour lui permettre de conserver, au mieux, cet espace où se situe le rapport intime à Dieu qui est, peut-être, essentiel pour lui, sur lequel reposent peut-être son équilibre spirituel et la qualité de ses derniers moments de vie. Un médecin orthodoxe doit concevoir que ce que l'Eglise lui demande avant tout, c'est d'être compétent.

 Mais revenons à l'accompagnement proprement dit. Dieu est Amour. Témoigner de Dieu, c'est parler le langage de l'amour ; c'est donner au malade un témoignage d'amour, d'un amour respectueux de son mystère, d'un amour qui ne projette aucunement sur lui ses propres sentiments, son propre psychisme, sa propre foi ; d'un amour grand ouvert, prêt à accueillir et à faire sien tout ce que le malade désire dire, tout ce qu'il a besoin de dire, besoin de confier.

 Il est clair que la situation idéale est dans l'échange entre un malade et un accompagnant qui partagent la même foi. Mais, le plus souvent, elles sont différentes. Parle-t-il de sa foi, il faut comprendre qu'elle représente pour lui un élément essentiel d'un équilibre qui est précaire et que la moindre tentative de déviation peut détruire totalement. Il faut l'aider à exprimer sa foi, à l'accomplir, à porter sa croix, à vivre sa propre souffrance, sa propre mort, car elles représentent le moment ultime de sa vie qu'on n'a pas le droit de lui voler. La mort de notre frère ne nous appartient pas. Nous parlions tout à l'heure de Simon de Cyrène. Il n'a pas cherché une autre croix pour le Christ, il ne Lui a pas donné des conseils pour la porter autrement. Il est venu au Christ tel qu'Il était, a pris Sa croix, et l'a portée telle qu'elle était.

  Le malade n'a-t-il pas de foi ou ne parle-t-il pas de Dieu, évoquer le sujet risque de le mener à la fermeture, au refus de dialogue, voire à la révolte, en tout cas à l'échec d'un accompagnement qui aurait pu se faire dans la fraternité et l'amour, sous le regard d'un Dieu qui ne S'impose pas, et que nous n'avons pas à imposer, et cela aurait peut-être été le meilleur témoignage. Il faut écouter, dialoguer selon le désir du malade, pour créer un rapport de confiance et d'amour, en priant soi-même secrètement, près de lui ou loin de lui, en sachant que Dieu est invisiblement présent, qu'Il agit mystérieusement dans la forme et dans le temps qu'Il décide.

 Un certain nombre d'expériences vécues avec des malades me font penser - et c'est pour moi une certitude - qu'il existe un miracle dans le mystère du franchissement de la mort. Et ce miracle est celui de l'aide divine au moment de ce passage. Témoigner de notre foi en Dieu, c'est aussi Le laisser agir comme Il le juge bon, sans vouloir nous substituer à Lui ou faire mieux que Lui. La foi, c'est la confiance ! Le bon samaritain de la parabole (Lc.10,29-37) s'est contenté de se charger du blessé, d'adoucir ses plaies, de l'accompagner. Et c'est lui que le christ Lui-même donne en exemple de témoignage.

 Comment réaliser cela dans la pratique ?

 Nous l'avons dit, chaque accompagnement est unique. Mais tous obéissent à quelques mots-clé. Le premier est la compassion, qui n'est pas une forme de pitié, avec un certain arrière-goût de condescendance et de mépris, mais qui est l'expression du latin " patere cum ", qui signifie " souffrir avec ". Elle représente un réel partage de la souffrance, que Saint Paul présente comme nous l'avons dit au début de cet exposé : " Un membre souffre-t-il, tous les membres souffrent avec lui ". Il ne s'agit pas de plaindre le malade, mais de prendre sur soi sa souffrance, de la porter avec lui, de la porter pour lui dans la vie de l'Eglise. Sans faire de développement théologique, je dirai seulement que cela se réalise dans la prière et dans l'offrande eucharistique.

  Le second est l'écoute, une écoute humble, attentive, faisant abstraction de soi-même pour percevoir le malade de la façon dont il a besoin d'être perçu, en respectant son mystère, sans esprit de curiosité, sans chercher la confidence, en acceptant ce qu'il veut livrer, dévoiler, et rien de plus, loin de tout esprit de domination ; une écoute dénuée de tout jugement, sans manifester quoi qu'il dise, même si cela nous paraît étranger à ce que l'on croit. Une écoute guidée par un amour qui, dit encore Saint Paul, " excuse tout, croit tout, espère tout, supporte tout " (1Co.13,7). La qualité de cette écoute conditionne le dialogue et, si nous y prêtons attention, le malade nous suggère ce qu'il veut qu'on dise, ce qu'il a besoin d'entendre.

 L'écoute et le dialogue doivent permettre à l'accompagnant d'être en syntonie avec le malade, c'est-à-dire sur la même longueur d'onde que lui, formant avec lui une unité de pensée. On doit partir du même point que lui, marcher dans la même direction, aller au même rythme que lui, pour ne pas risquer de le faire trébucher. Ecoute et dialogue sont soutenus par la prière, même secrète.

 Prière pour confier le malade à Dieu, expression de notre foi en Lui, même si elle reste enfouie en nous sans se manifester extérieurement. Prière pour que Dieu Lui-même nous aide dans notre ministère d'accompagnement, et nous donne les mots pour parler au malade, en se rappelant ce que dit le Christ à Ses apôtres : " Ne vous inquiétez pas de savoir comment parler ou que dire, ... car ... c'est l'Esprit de votre Père Qui parlera en vous " (Mt.10,19). Et l'expérience montre que, lorsque l'on vient avec un discours bien préparé, bien " ficelé ", on tombe presque toujours à plat à côté du problème.

 Mais, si l'on est attentif au malade et ouvert à l'Esprit Saint, il nous arrive de dire des choses que l'on ne connaissait pas, auxquelles on ne pensait pas, que l'on découvre, et dont on se rend compte que ce n'est pas de nous qu'elles viennent, mais de l'Esprit Saint, et que nous n'avons été que l'instrument par lequel Il S'est exprimé. Prière enfin, pour reprendre des forces, car l'accompagnement est un don de soi où l'on donne ses forces, son énergie, et qui nécessite que nous puissions " recharger nos batteries " à la source divine.

 Enfin l'attitude : d'aide, d'amour, de tendresse, faite de tous ces petits gestes spontanés comme éponger le front, prendre la main, se laisser prendre la main, se laisser toucher (Charles-Henry Rapin compare le toucher à une " transfusion de sérénité "), donner un baiser, regarder, conscients de ce que le regard est le miroir dans lequel le malade contemple l'image de sa dignité. Le regard, le sourire, sont aussi des fenêtres ouvertes sur l'amour.

 On sait que l'un des éléments majeurs de la souffrance totale est cet état de dépendance dans lequel le malade tombe progressivement. Par tous ces petits gestes, par toute notre attitude dans notre aide, le malade doit acquérir le sentiment que cette aide n'est pas une nécessité imposée par sa déchéance, mais qu'elle est le geste naturel d'un amour gratuit . En un mot, il faut arriver à transfigurer cet état de dépendance en une relation d'amour, dans laquelle chacun trouvera sa force, sa joie.

 Pour conclure...

 ... Je reviendrai sur la question que je posais d'entrée : Y a-t-il une conception orthodoxe de l'accompagnement de fin de vie et des soins palliatifs ? Eh bien, la réponse est : Oui. Et cette conception est commune à tous les chrétiens. Elle est exprimée par le Christ dans l'Evangile du jugement dernier, qu'Il résume par ces mots : " Tout ce que vous avez fait à l'un de ces plus petits, qui sont Mes frères, c'est à Moi que vous l'avez fait " (Mt.25,40).

 Et si je parviens à accompagner tout malade, toute personne en fin de vie, qu'elle soit orthodoxe, juive, musulmane ou agnostique, comme si elle était le Christ, si je parviens à aimer selon le commandement d'Amour du Christ chaque être qu'Il me confie pour le soigner, pour l'accompagner, comme chaque être qu'Il met quotidiennement sur ma route, alors peut-être aurai-je mis en pratique ma foi orthodoxe.

 (Diacre Dominique Beaufils)


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