Autorité et liberté (par Métropolite Antoine de Souroge)
Autorité et liberté par
Métropolite
Antoine de
Souroge :
Question :
Comment concilier l'autorité et la liberté dans
l'éducation ? Il est difficile d'orienter sans avoir un certain
"projet" devant soi.
Métropolite Antoine : Quand
j'ai parlé de "projet" hier, je ne
pensais pas du tout à l'éducation, mais au genre de projets que font
des partis
politiques, comme par exemple, le parti communiste, corme des Eglises
chrétiennes lorsqu'elles définissent le "type" humain qu'elles
doivent produire. Il ne s'agit pas d'éducation, mais de faire un être
humain
qui corresponde à un idéal déterminé ; il s'agit de placer devant soi
l'image
de ce qu'un être humain doit être et de forcer chacun à y devenir
conforme.
Cela pêche de deux façons : d'abord nous ne savons pas ce que l'"être"
doit être, parce qu'il n'existe pas d'Etre humain dont nous ne serions
que des
reproductions aussi fidèles que possible.
L'imitation du Christ ne
consiste pas
à être de pauvres répliques plus ou moins mauvaises ; elle consiste à
devenir à
notre façon, ce qu'il a été parfaitement à la sienne. Un proverbe
hébreu dit :
"Personne ne t'accusera jamais de ne pas avoir été Jean, mais tu seras
condamné pour n'avoir pas été Jeannot". L'idée en est que si Jean est
ton
idéal de sainteté, être ce qu'il a été n'est possible que pour lui ; si
on t'a
appelé Jeannot, ton idéal est d'être Jeannot. C'est contre cette erreur
que
j'ai voulu m'élever hier. En
plus du fait que nous ignorons ce que chacun
doit être puisque Dieu seul sait ce qu'il veut qu'il soit, il y a aussi
le fait
que nous ne pouvons pas contraindre un homme à devenir lui-même dans
les
catégories de la liberté des enfants de Dieu. Nous pouvons l'aider à se
déployer à sa propre mesure, mais nous ne pouvons pas le forcer à
s'ouvrir de
la façon dont nous voulons.
En
matière d'éducation, le problème est
évidemment différent. Il y a, assurément, dans l'éducation deux aspects
:
l'instruction que nous donnons — et c'est un problème relativement
simple de
méthode, de communication de connaissance — et une attitude par rapport
à ce
qui est donné. Nous pouvons faire des projets dans certaine direction,
nous
pouvons dire, par exemple, que l'intégrité intellectuelle, l'intégrité
morale
sont indispensables, que l'objectivité, l'honnêteté dans la recherche,
que la
loyauté dans l'équipe sont des choses que nous pouvons légitimement
imprimer
dans l'âme d'un enfant, parce qu'elles sont des valeurs, elles sont des
catégories, elles déterminent une dynamique, mais elles ne sont pas
comme un
corset orthopédique dans lequel nous forçons quelqu'un à vivre, parce
que, si
nous enseignons l'intégrité morale, la loyauté, chacun les réalisera à
sa
façon.
Si nous essayons d'imposer une façon déterminée d'être loyal ou
intègre,
nous faisons un "projet" qui détruit notre intention, parce que, de
toute évidence, dès que nous indiquons une façon déterminée à l'enfant,
nous
lui interdisons toute créativité et nous lui imposons une vue qui est
la nôtre,
qui peut être vraie ou ne pas l'être. Au point de vue éducatif, nous
pouvons
donc essayer de modeler des âmes humaines dans ces catégories, mais
nous ne
pouvons pas déterminer ces catégories de telle sorte qu'il n'y ait
qu'une voie,
qu'un moyen, qu'une manière de les réaliser.
En
matière de charité : certes, toute la sainteté
se ramène à la charité, mais quel vaste éventail d'expressions ! Dans
l'histoire des Pères du désert, on raconte que S. Arsène le Grand était
installé au désert et que Moïse l'hospitalier s'était installé à un
autre
endroit. Arsène fuyait les gens alors que Moïse s'était installé sur la
route
des caravanes de façon à recevoir tous les passants et à leur offrir un
gîte et
un repas. On a dit à Arsène : "Comment peux-tu penser que tu es un
serviteur du Dieu d'amour quand tu fuis les hommes ?" Il a répondu :
"Dans le ciel, des myriades d'anges et de saints n'ont qu'une volonté
qui
est celle de Dieu. Sur terre il suffit qu'il y ait trois personnes pour
qu'il y
ait trois volontés discordantes. Je ne peux pas m'arracher à cette
harmonie que
j'ai découverte pour me plonger dans la dysharmonie." C'était aussi une
forme de l'amour parce que, dans le peu d'occasion où il a fait œuvre
de
pastorat, de fraternité spirituelle, il a su manifester une vraie
charité
humaine, mais il s'est considéré comme trop frêle pour se plonger dans
le
tumulte et il s'est retiré. On pourrait donner d'autres exemples.
Il faut enseigner la charité, puis demander au jeune qui devra la pratiquer : "Quel est ton mode particulier de pratiquer la charité ?", et non lui dire : "Ton mode est le travail social, ou c'est la vie du chartreux, ou telle forme particulière de relation humaine." Notre travail éducatif doit être très net et être une recherche avec celui auquel nous cherchons à donner une éducation. Le problème se pose en mêmes termes dans la relation pastorale : il s'agit d'amener une personne jusqu'à elle-même, de lui faire découvrir sa loi intérieure au sein de la grande loi de Dieu qui est une loi de vie et de plénitude. Mais les voies sont aussi variées, aussi mystérieuses que la pluralité des personnes humaines irremplaçables. Nous pouvons indiquer des directions, mais chacun doit trouver son expression avec toute la créativité dont il est capable.