Eglise et foi (Père Alexandre Schmemann)

Dans le New York Times du dimanche il y a un article concernant la baisse de la fréquentation à l’église et le déclin de la foi, le rejet des dogmes, de toute doctrine. Un jeune catholique dit : « Je ne vois pas en quoi l’acceptation d’un quelconque dogme peut changer quoi que ce soit dans la vision de ma vie ». Ceci me fait penser au succès de la religiosité subjective.

La foi diminue, la religion en sort plus forte. J’ai bien peur que la foi a commencé à décliner fondamentalement il y a déjà longtemps. Les Églises se sont tenues ensemble les derniers siècles non par la foi, mais par la religion, pour autant que la religion réponde socialement à quelque chose dans la culture, dans la société etc. et aussi pour autant que la liberté et la sécularisation ne pénétraient pas l’épaisseur de la conscience et de la civilisation du monde. C’est maintenant arrivé et la première victime est l’Église. Le protestantisme fut la dé-écclésialisation de l’Église sinon son commencement en tout cas. L’Église [catholique] d’après Vatican [II] penche maintenant vers le protestantisme (déni d’autorité, du concept d’hérésie, d’objectivité). L’orthodoxie tient en s’accrochant à l’Église comme une société naturelle – ethnique, nationale etc.

Le fondement de l’Église est la foi. La foi donne éternellement naissance à l’Église et l’épanouit, et la foi voit l’Église comme « la garantie des biens que l’on espère, la preuve des réalités qu’on ne voit pas… » (Hé 11, 1). L’Église est nécessaire comme le sacrement du siècle à venir. La religion a besoin d’un temple, l’Église pas. L’origine du temple est la religion. Dans l’Évangile, nous trouvons : « Je détruirai ce temple… ». L’Église a une origine chrétienne. Notre Église s’est identifiée cependant depuis longtemps avec le « temple », s’est dissoute dans le temple, et elle est retournée au temple païen comme sa sanction religieuse.

Le protestantisme fut une tentative de sauver la foi, de la purifier de la réduction à la religion. Mais les protestants ont payé un lourd tribut pour avoir renié l’eschatologie et l’avoir remplacée par un salut personnel et individuel ; et à cause de cela, d’avoir essentiellement renié l’Église. Le plus grand anachronisme au plan naturel s’est rencontré dans l’Église catholique. Le catholicisme n’était possible que pour autant qu’on était capable de nier et de limiter la liberté de la personne, le dogme fondamental des temps nouveaux. En essayant de changer son cours, d’émerger avec la liberté, le catholicisme s’est tout simplement effondré et je ne vois pas comment son renouveau serait possible (à moins que le fascisme ne puisse s’approprier la race humaine et rejeter la synthèse explosive de liberté et de la personne).

« Les personnes qui nous écoutent ne comprennent pas ce que nous voulons d’elles ». En fin de compte, « nous » (un petit groupe) voulons l’Église. Mais dans la chrétienté, pendant très longtemps, il n’y a pas eu la moindre expérience de ce qu’est l’Église ; elle était remplacée par l’expérience d’un temple, une religion plus individuelle, privée de l’intérieur de la moindre foi, comme « la garantie des biens que l’on espère, la preuve des réalités qu’on ne voit pas » [Hé 11, 1]. Espérance de quoi ? Qu’est-ce qu’on n’a pas vu ? Quelque chose de divin en nous, transcendant par soi, après la vie, qui n’appartient pas à ce monde, quelque chose qui aide à vivre. Mais tout cela est finalement une question d’expérience, de choix individuel, d’habitude. Et avec l’expérience, on ne peut pas argumenter.

Je viens de relire ce que j’ai écrit et je voudrais définir la foi avec davantage de précision. L’Église et la liberté. Ils disent : « Liberté pour chacun d’avoir sa propre vérité.. ». Bien. Qu’il en soit ainsi : la coercition religieuse de sa conscience est de fait la pire chose qui puisse arriver. Ils disent : Acceptez la foi de l’Église (l’autorité de l’Église etc.). Non, ce n’est pas cela, pas ainsi. Lorsque je dis que la foi donne naissance à l’Église, je parle de l’ontologie de la foi, parce que la foi et l’Église ne sont pas deux réalités différentes, avec l’une la gardienne de l’autre. Non. La foi consiste à posséder le Royaume, la garantie des biens que l’on espère, la preuve des réalités qu’on ne voit pas. Cette possession est l’Église en tant que sacrement, comme unité, vie nouvelle. L’Église est la présence de ce qu’on espère et qu’on ne voit pas encore. Par conséquent, parler d’une certaine liberté de foi à l’intérieur de l’Église est aussi dépourvu de sens que de parler de liberté dans une table de multiplication. L’acceptation du Royaume est le fruit de la liberté, son accomplissement et son couronnement. En ce sens, en tant qu’acceptation constante, continuellement renouvelée, la foi est liberté, la seule vraie liberté et comme telle l’Église doit être l’épanouissement de la foi.

 
(Extrait de : Journal du Père Alexandre -15 mars 1977)

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