L'Eglise et le monde (par Métropolite Antoine de Souroge)
l'Eglise et le monde du
Métropolite Antoine de
Souroge :
Je
voudrais vous dire d'abord combien de joie j'éprouve à me
trouver parmi vous. J'ai peu l'occasion de venir en Belgique, mes
contacts sont
très neufs encore et l'impression que j'ai eue est très profonde. Le
mot serbe
qui signifie "rencontre" signifie aussi "joie" et je crois
que c'est empreint de cette joie de la rencontre que je me trouve au
milieu de
vous.
Il
y a aussi un dicton russe qui nous indique que l'on se
rencontre un jour, mais qu’après s'être rencontré, on ne se quitte
jamais.
S'être rencontre est un événement définitif. Chacun de ceux qui font
partie
d'une rencontre porte l'empreinte de tous ceux qu'il a vus et entendus.
Dans ce
sens, devant Dieu, nous sommes tous porteurs d'une même responsabilité
parce
que nous nous trouvons face à face les uns des autres. Il y a là une
solidarité
qui est une joie et une responsabilité à la fois.
Le
thème qui m'a été proposé: l'Eglise et le monde, est un thème
qui m'est devenu familiers au cours des 52 années écoulées, c'est le
thème le
plus brûlant et aussi le plus dangereux, non seulement pour notre
époque en
général, mais surtout peut-être pour la destinée de nos Eglises
orthodoxes
derrières le rideau de fer. Le monde, tel que nous le connaissons en
Occident,
est le milieu naturel dans lequel nous naissons, dans lequel nous nous
développons, c'est ce qui nous entoure. Il est rare que ce monde
extérieur nous
soit hostile au point de nous haïr et qu'il’ nous devienne dangereux.
Le monde,
tel qu'il apparaît au chrétien derrière le rideau de fer, est un monde
dangereux, un monde d'athéisme agressif et militant. Le problème du
monde et de
l'Eglise atteint à une profondeur très grande, non seulement la
conscience
théologique et la conscience personnelle des chrétiens de l'Europe
orientale,
mais aussi leur expérience de la vie, leur expérience de chaque
instant, parce
que le monde est là aux aguets, il a en vue de détruire et il ne suffit
pas
simplement de se protéger, de
se retrancher, de trouver sécurité
n'est pas l'attitude chrétienne face au monde, ni l'attitude de Dieu,
ni celle
du Christ ; elle n'est donc celle ni du chrétien individuel ni de
l'Eglise dans
son ensemble. Et c'est sur ce monde et sa relation à l'Eglise que je
veux vous
dire quelques mots.
L'Eglise
se trouve dans le monde de deux façons différentes. D’une
part, nous tous sommes à la fois des membres de l'Eglise du Christ,
dans le
sens le plus large, mais aussi dans un sens très profond, et membre de
la
communauté humaine totale qui englobe la notion de "monde". Si nous
utilisons ce terme de "monde" dans le sens des écrits ascétiques, le
monde ne nous est pas extérieur, il nous est intérieur: chaque fois que
le
péché, l'athéisme dans le sens strict du mot, l’absence de Dieu, se
manifeste
en nous, nous nous révélons comme le monde pécheurs dans le sens athée
de ce
terme. Et nous n'avons pas besoin de chercher loin pour trouver le
monde: il
est dans notre cœur, dans l'incertitude de notre fidélité à Dieu; il
est dans
notre intelligence, dans son obscurcissement, il est dans notre
volonté, dans
ses hésitations et ses vacillations ; il est dans notre corps par
toutes les
passions qui nous lient au visible et qui nous attirent à la terre,
distincte
des cieux. Il y a donc pour chaque membre de 1'Eglise dans son ensemble
un
problème du monde qui lui est intérieur : c'est l'aspect de l'Eglise
que St. Ephraïm
de Syrie, au 6e siècle, caractérisait en disant: "L'Eglise n'est pas
l'assemblée des justes, mais la masse des pécheurs repentant». Cette
masse ne
devient l'Eglise que dans la mesure où elle se repent, mais elle est
liée au
monde de façon tragique, de là mauvaise façon, si l'on peut dire, dans
la
mesure où nous sommes pécheurs malgré notre repentance. Il y a donc là
un
problème précis et direct auquel nous devons faire face: la lutte
ascétique, la
lutte intérieure qui doit nous dégager de tous les esclavages et faire
de nous,
sur terre, des citoyens du Royaume de Dieu. Cela, nous le sommes par
vocation,
nous devons le devenir en toute réalité. Cette réalité est pénible,
elle est
dure pour nous, elle est exigeante. Cette réalité et cette exigence ne
pourraient pas être amenées à une perfection quelconque sans la grâce
de Dieu:
ce n'est que par Lui que nous pouvons nous dégager et ce n'est qu'en
Lui que
nous pouvons nous dégager et ce n'est qu'en Lui que pouvons vivre, dès
à
présent, notre vocation, celle d'être sur terre la présence du siècle à
venir.
Dans
la mesure où nous sommes de la terre, et non pas seulement
sur terre, ce qui est l'aspect pécheur de notre vie à l'intérieur de
l'Eglise
inclus dans les problèmes qui sont aussi ceux des autres, nous nous
trouvons en
face d'un monde, le monde moderne, qui nous pose des problèmes et qui a
ses
exigences, qui veut des réponses et qui a droit à des réponses. Ce
monde
moderne où nous vivons est un monde où les jeunes comme les vieux sont
dépaysés
; c’est un monde qui a échappé à l'emprise de l'homme, qui est devenu,
en un
sens, trop grand pour lui. Il a grandi trop vite alors que notre
conscience n'a
pas grandi avec la même rapidité. Le monde où nous vivons n'est plus
celui que
nous connaissions entre les deux guerres ou avant la première guerre
mondiale :
celui-là, malgré toutes ses difficultés, était à la mesure de l'homme,
Sur le
plan de la vision totale, il était encore centré sur la terre, nos
problèmes
étaient terrestres, humains; même lorsque notre vision dépassait la
terre celle-ci
restait encore le centre de nos problèmes humains. D'autre part, sur la
terre
des hommes où nous vivons, les distances, la lenteur du mouvement, les
difficultés de contact ne tendaient pas, de la façon dont ils le font
maintenant, toutes nos énergies et ne nous mettaient pas face à face
avec la
responsabilité totale qui est notre maintenant. Aujourd'hui, nous
savons trop
ce qui se passe partout et nous sommes solidaires et responsables.
Autrefois
cela passait à côté de nous et, quel que fut notre responsabilité en
profondeur, elle n'avait pas: cette extension et nous ne nous trouvions
pas en
jugement devant le monde tout entier dans la mesure où nous sommes
indignes de
notre condition humaine comme de notre condition divine.
Par
ailleurs, le monde est devenu vaste, d'une étendue qui nous
échappe; nous avons découvert non seulement ce qui entoure la terre,
nous avons
saisi quelque chose des dimensions cosmiques et d'une certaine
infinité. Et de
ce point de vue, nous nous trouvons en face de la nécessité absolue de
repenser
notre situation dans le créé. Une théologie du cosmos, une théologie du
créé
total, qui n'est plus simplement centrée sur notre pauvre petite terre
se fait
jour, reparaît ou se développe selon les traditions et les écoles de
pensées.
Et ceci atteint non seulement notre vision humaine, mais aussi notre
vision
théologique parce que l'acte créateur enveloppe et englobe toute cette
immensité, parce que l'incarnation du Verbe, orientée évidemment au
salut de
l'homme, ne laisse pas de côté toute cette immensité, ne serait-ce que
parce
que l'homme y pénètre et que l'homme y apporte quelque chose et en
retire
quelque chose.
Il
y a donc là pour nous un double plan de responsabilité: d'une
part, il y a une vision nouvelle des étendues infinies qui nous
entourent, de
la situation de l'homme dans le créé et de la situation du créé par
rapport à
Dieu et à l'homme ; là c'est de la théologie. D'autre part, il y a
aussi
une vision de la situation humaine dans toute sa complexité, avec ses
exigences, et la responsabilité qu'elle implique pour les chrétiens au
premier
chef parce que le chrétien devrait savoir sa place et devrait pouvoir
agir pour Dieu dans ce monde où nous
sommes.
Voilà
un premier aspect de la question. Je voudrais maintenant
passer à un autre aspect (tout
ce que Dieu a fait):
le monde n'est
pas seulement l'aspect ascétique de ce terme, le monde englobe tout ce
que Dieu
a fait; il y a à la base de notre relation au monde, parce que la
Relation du
chrétien ne peut être autre chose que la relation de Dieu lui-même. Si
notre
relation au monde est différente de celle de Dieu, c'est que nous
trahissons
notre vocation: ce que nous savons au premier chef, c'est que Dieu a
tant aimé
le monde qu'Il a donné son Fils unique pour son salut. Dieu aime et Il
aime ce
monde qui nous effraie, qui nous étonne, qui nous semble si souvent
étranger,
dont la compréhension nous échappe. Il l'aime et Il l'aime à un prix
qui
dépasse toute compréhension humaine. Voila un premier fait.
D'autre
part, ce premier fait nous à une notion sur laquelle je
voudrais insister : c'est celle de la solidarité de Dieu avec le monde.
Dans
l'acte créateur, il y a déjà une relation établie: le monde n'existe
que parce
qu'il est voulu de Dieu: Dieu l'appelle du néant à l'existence, le veut
comme
compagnon d’éternité; le monde, tout le visible l'invisible ne sont pas
appelés
à une existence éphémère, en vue de disparaître, il est appelé à une
existence
transitoire en vue de s'établir dans l’existence définitive, de
s'établir en
Dieu. Et ceci est particulièrement vrai pour l'homme.
Quand
j'ai employé ce terme de "compagnon", j'ai voulu
indiquer quelque chose de plus qu'une simple situation dans laquelle
nous
sommes dans la compagnie de quelqu'un : un compagnon est celui
qui est
admis à rompre le pain avec nous; rompre le pain cela veut dire être
admis à la
table de quelqu'un, être dans la situation d'une hospitalité qui offre
et qui
se donne, être rendu à l'égal de celui qui nous invite à sa table. En
effet
nous voyons dans l'Evangile que l'homme n'est pas appelé à être un
esclave mais
un ami de Dieu: "Je ne vous appelle plus serviteurs, car le serviteur
ne
sait pas ce que fait son maître, Je vous appelle amis parce que Je vous
ai tout dit."
Voilà
la situation essentielle: appelés à être les compagnons d'éternité du
Dieu
vivant. C'est pour cela, en vue de cela que nous sommes appelés du
non-être à
l'être. Nous ne sommes pas seulement posés statiquement face à face
avec Dieu,
nous sommes appelés dynamiquement, nous sommes lancés dans 1'existence
du
non-être vers les profondeurs de Dieu dans un mouvement et non pas dans
une
immobilité. Et ce mouvement est une relation avec Dieu. Nous sommes
appelés, dans le
mystère
de la sagesse divine, à devenir les enfants de Dieu les enfants du
Royaume, à
participer à la nature divine, comme le dit St. Pierre dans son épître,
à une
vie commune avec le Dieu vivant et, sur le plan de la société humaine,
à
devenir l'image et la révélation de cette relation intérieure que nous
appelons: Dieu Un dans la Sainte Trinité. Dès l'abord donc, entre le
créé et le
Créateur, il y a cette relation d'amour où Dieu se donne et nous
appelle à Le
recevoir.
La
liberté qui nous est offerte est aussi inscrite dans ce mystère
d'amour. Le mot "liberté" est un mot du vocabulaire latin qui
détermine, qui définit la situation de l'enfant né libre dans la maison
de
l'homme libre; les enfants de cet homme libre reçoivent une éducation
dont le
but est de faire d'eux des enfants de la liberté, des enfants qui
n'accepteront, qui ne connaîtront jamais le joug ou la mentalité
d'esclavage.
Ce n'est qu'en devenant libres en Dieu que nous pouvons devenir
nous-mêmes dans
le sens plein du mot. Etre soi-même, c'est le sens étymologique du mot
russe
que nous employons pour "liberté". De même le terme qui signifie
"liberté" en anglais, freedom, vient d'un mot anglais qui veux dire
"aimer" my free, en anglais ancien, veut dire : mon bien-aimé.
Par conséquent, notre situation de liberté par rapport à Dieu est
encore une relation
et un rapport. Et si nous nous tournons vers l'envers de la liberté
telle que
nous l'apercevons par moments, telle que nous définissons l'obéissance,
là
encore nous trouvons une relation, mais non pas celle de l'esclavage:
la
liberté se manifeste dans 1' obéissance, dans la situation du disciple
qui sait
écouter en vue d'entendre de Dieu-même ce qu'il ne sait pas entendre du
tréfonds de sa propre nature, de découvrir par Dieu ce qu'est cette
nature et
sa vraie vocation. Car seul Dieu peut nous révéler ce que nous sommes
car Il
est le seul à le connaître. Souvenez-vous de ce passage de l'Ecriture
où il
nous est dit que les enfants du Royaume recevront une pierre blanche
avec un
nom inscrit, un nom que seul Dieu connaît et celui à qui le nom et la
pierre
sont donnés: mystère de la personne non pareille et unique que Dieu
seul peut
révéler à chacun de nous.
Ainsi
vous voyez que tout est relation dans cette situation du
créé par rapport à nous et que tout est relation
d'amour qui nous
lie de
solidarité parce que Dieu, qui nous a créés une fois pour toutes, ne
nous
rejette pas dans l'inexistence et donc lie, si l'on peut employer une
expression de ce genre, notre destinée à sa destinée; d'une certaine
façon il
acquiert une destinée du fait de cette solidarité avec nous. En effet,
dans la
chute de l'homme, Dieu ne reste pas extérieur à cette situation. Nous
voyons
dans l'Ancien Testament Dieu qui appelle, Dieu qui invite, Dieu qui
éveille de
l'intérieur toutes les énergies vivantes de l'homme. Nous voyons aussi un acte de solidarité
finale dans
l'Incarnation du
Seigneur: le
Verbe de Dieu prend chair; le Verbe de Dieu entre dans la situation
humaine
pour ne plus jamais s'en séparer. C'est là le point ultime de cette
solidarité
qui lie Dieu à 1' homme. Cette solidarité ne lie pas Dieu aux saints de
cette
terre, elle ne lie pas Dieu à ceux qui Lui sont le plus proches; elle
lie Dieu
à ceux qui sont le plus éloignés de Lui: Il est venu sauver les
pécheurs et non
pas les justes qui ne croient pas avoir besoin de repentance; Il est
venu pour
porter le poids non pas de la destinée humaine, mais de la destinée de
l'homme
déchu de sa vocation; Il est venu parmi nous chargé de tout le poids et
de
toutes les conséquences de notre chute. Nous pensons souvent, lorsque
nous
parlons de cette solidarité du Christ, aux limitations qu'Il a subies:
Il a eu
faim, Il a eu froid, Il a eu soif, Il a été fatigué, Il a dû mourir.
C'est
vrai, mais cela n'est rien en comparaison du problème central, du
problème
absolu: Il a dû mourir.
La
mort du Christ est quelque chose de profondément différent de
la nôtre, c'est une mort unique, qui ne se peut répéter et qui ne peut
être
comparée à rien. S. Maxime le Confesseur, parlant de l'incarnation,
nous dit:
Le Seigneur assume notre nature humaine de deux façons différente: le
Verbe
s'incarne, il s'unit à notre nature humaine et, dans cette incarnation,
la
nature humaine devient immortelle. Mourir, c'est être séparé d'avec
Dieu. Il ne
peut pas y avoir de mort là où il y a une union inséparable entre le
créé et
1'incréé. Il y a un second acte de solidarité avec la tragédie humaine,
avec
l'horreur de la perte de Dieu: le Christ accepte de prendre sur Lui,
dans un
acte de solidarité, la mort impossible, Il inflige à son immortalité la
mort...
Ce n'est pas en vain, ce n'est pas dans un sentiment lyrique qui
dépasse la
réalité qu'une des hymnes orthodoxes de la Passion dit: "O Vie
éternelle !
Comment descends-tu au tombeau?" Le Christ de l'Incarnation ne pouvait
pas
mourir et il doit mourir !
C'est
là un point de solidarité particulièrement tragique, que
nous voyons développé ensuite dans deux événements: celui du Jardin des
Oliviers et celui du Calvaire. Au Jardin des Oliviers, nous voyons le
Christ
aux prises avec l'horreur de la mort venant, de-là mort impossible, de
la mort
monstrueuse, de la mort qui ne peut pas se produire et qui pourtant
devra
déchirer l'immortalité en deux lambeaux séparés: une âme immortelle,
unie à la
divinité du Seigneur, et un corps immortel et incorruptible, uni à la
et divinité.
Du Seigneur et pourtant séparé dans une mort réelle et inconcevable. Et
puis,
cette mort devient réalité de la façon même dont l'homme meurt: sur la
croix,
le Seigneur s’écrie: "Mon Dieu, Mon Dieu ! Pourquoi M'as-Tu
abandonné?" C'est la perte de Dieu, c'est par l'expérience de
l'athéisme
qui rend la mort possible que le Seigneur passe...
Là,
la solidarité de Dieu atteint une profondeur ultime et
extrême: Il meurt en communion, non seulement avec la mort, mais avec
la raison
première et essentielle de la mort humaine: la rupture d'avec Dieu; la
malédiction humaine tombe sur Lui avec toute la force que le mot
malédiction
porte en lui. Comparée à cette mort, il n'y a pas de mort, et comparée
à cette
expérience de la perte de "Dieu, l'athéisme de la terre, l'athéisme
moral,
imaginatif, philosophique, que nous- rencontrons à chaque pas, est si
pauvre et
si superficiel ! Alors, nous pouvons voir ce qu'est cette solidarité du Christ
avec Sa
créature et par
Lui,
puisqu'Il est le Verbe de Dieu, puisque la plénitude du divin réside
dans Sa
chair par l'Incarnation, nous pouvons voir la solidarité
de Dieu avec le monde. Si nous ayons vu cela, pouvons-nous nous
détourner
du monde, pouvons-nous le rejeter? N'est-ce pas notre vocation essentielle d'être liés à ce monde dans
une
destinée terrestre, une destinée éternelle?
C'est
là, en effet, ce que le Christ nous propose. Souvenez-vous
du soir de la Résurrection: les Apôtres, désespérés, terrifiés, se sont
retirés
dans la maison de Jean-Marc. Pourquoi cette terreur? Ils étaient si
pleins
d'ardeur, de courage, auparavant. Les foules qui les entouraient ne les
effrayaient pas. Pourquoi le cœur leur a-t-il manqué? Parce que la mort
du
Christ sur la croix a été pour eux bien autre chose que la mort d'un
Maître
vénéré, d'un ami, d'un guide, d'un chef. La mort du Christ sur la
croix, après
l'expérience du Christ qu'ils avaient faite au cours du ministère
terrestre,
signifiait pour eux que la haine avait vaincu l'amour divin, que la
mort avait
eu raison de cette vision de vie éternelle qui leur était apparue pour
un
instant... Si le Christ est mort définitivement, Dieu est vaincu,
vaincu et
écarté et tout ce qui reste sur terre, c'est la durée: on peut
continuer à
exister, il n’est plus possible de vivre. Mais ceux qui ont vécu, ne
peuvent
plus exister. Ceux qui ont vu 1'éternité, ne peuvent plus être
prisonniers du
temps sans tomber dans un désespoir final. Souvenez-vous que lorsque
nous
pensons à la crucifixion du Vendredi Saint, nous voyons toujours
l'ombre de la
Croix qui se profile sur la lumière éclatante de la résurrection. Rien
ne peut
faire que, dans nos imaginations, nos sensibilités, nous puissions un
instant oublié
d'une façon totale et finale, dans moins de deux jours, nous chanterons
la
résurrection du Christ. Mais pour les Apôtres, entre le moment où le
Christ est
mort et le moment où Il est ressuscité, c'était le Vendredi Saint qui
se
continuait avec toute sa noirceur, toute son obscurité, c'était la
victoire des
forces de la mort qui déferlait sur le monde.
Le Vendredi Saint ne
cessait pas
au soir du Vendredi; il continuait à s'étendre le samedi et allait
s'étendre
maintenant de jour en jour sur tous les jours de la semaine, sur tous
les jours
de l'année et sur tous les siècles à venir. Il n'y aurait plus que
cette
obscurité et cette désespérance humaine. Quand le Christ leur est
apparu, ce
n'set pas seulement la joie de Le voir victorieux de la mort, c'est la
joie de
la résurrection qu'ils ont chantée parce que le Christ était vivant, la
vie a
vaincu la mort, l'amour a vaincu la haine humaine, l'infini a vaincu le
fini,
et l'éternel a vaincu l'emprisonnement dans le temps. Le retour à la
vie n'a
pas été seulement un retour psychologique, une joie, i1 a été une
communion
avec 1'éternité eschatologique déjà venue, une présence du siècle à
venir déjà
connue en puissance, connue d'expérience vécue, participée. C'est pour
cela
que, dans la suite de l'histoire apostolique, nous voyons les Apôtres
prêts à
mourir, parce que la mort n'a plus d'emprise sur eux. Oui, ils peuvent
mourir
de corps mais la mort, — dans le sens tragique du mot d'une séparation
radicale
et pour toujours d'avec la vie et d'avec Dieu — n'existe plus.
C'est
pour cela
que les premières paroles du Christ, au soir de la Résurrection, ont
été
"Paix à vous", la paix que Lui seul peut donner, la paix que le monde
ne peut pas donner, la paix qui est une sérénité de la vie éternelle
déjà
possédée. Ensuite, Il leur dit des paroles tragiques, plus tragiques
que nous
nous l'imaginons: "Comme Mon Père M'a envoyé, Je vous envoyé".
Maintenant, lorsque, un missionnaire entend ces paroles, ce sont
presque des
paroles de gloire: il entre dans la carrière apostolique entouré de
toute la
richesse et de toute la force, de toute la victoire des siècles
chrétiens. Mais
au soir de la Résurrection, à peine un jour et demi après la mort sur
la Croix,
ces mots avaient une intensité concrète beaucoup plus grande; les
Apôtres
savaient comme le Père avait envoyé le Fils’ et ils savaient ce qui
était
arrivé... Et c'était cela que le Christ leur promettait ! D'une
autre
façon, Il l'avait déjà promis à Jean et à Jacques lorsque il avait
demandé:
"Etes-vous prêts à boire la coupe que je vais boire et à vous plonger
dans
1e baptême qui sera le mien? " Mais maintenant, c'était devenu quelque
chose de très concret, de vécu, de vu, de senti, une mort qui était
déjà expérimentalement
perçue. Et pourtant, ils n'ont pas hésité parce qu’ils étaient
redevenus
vivants d'une vie que la mort ne peut plus enlever et ils sont entrés
dans la
carrière comme des brebis parmi les loups, pour mourir en vue de faire
vivre
d'autres hommes, ceux qui avaient besoin de vivre. Voilà la relation de
base
qu'il y a entre le monde c.à d. tout le créé, les pécheurs inclus et au
premier
chef ) et l'Eglise, malgré le fait que nous aussi, nous sommes des
pécheurs,
par ce qu'il nous est donné d'être plus que nous sommes: malgré nos
péchés nous
sommes en Christ, malgré notre indignité, malgré le fait que nous
sommes liés
au monde non seulement d'une solidarité de charité, mais d'une
solidarité de
péché, il nous est donné de représenter le Christ et de vivre en Lui et
de
mourir à sa façon.
Pour
vous en donner une compréhension peut-être moins obscure que
celle que j'ai essayé de vous transmettre, je vous fais donner quelques
exemples vivants appartenant à notre temps. Le
premier exemple se rapporte au début de la révolution russe, en
1919, à l'époque où les villes russes centrales passaient de main en
main,
tantôt dans les mains des rouges, tantôt dans celles des blancs. Une
jeune
femme avec deux enfants de cinq et sept ans se trouve prise dans un
lieu,
n'ayant pas eu le temps d'échapper de la ville que les blancs viennent
de
quitter et qui se trouve déjà occupée par les rouges. Sachant que la
mort
l'attend si elle est découverte, parce que son mari s'était occupé de
l'armée
blanche, elle se cache avec ses enfants, dans une masure abandonnée. Au
deuxième soir, quelqu'un frappe à la porte : elle ouvre et se
trouve face
à face avec une femme aussi jeune qu'elle, d'une vingtaine d'années.
Celle-ci
lui dit: "Vous êtes une telle, n'est ce pas? Eh bien il faut que vous
partiez
tout de suite parce qu'on vous a découverte et vous allez être fusillée
cette
nuit." La mère regarde les enfants et dit: "Ou irais-je? On me
rattrapera des qu'on se mettra à ma recherche"... Et sa jeune voisine,
devenant maintenant le prochain de l'Evangile et non plus simplement
'la
voisine' de masure, de lui répondre: "On ne vous cherchera pas car je
vais
rester ici à votre place". Et la mère de lui dire : "Mais, vous
serez fusillée à ma place ? " – "Oui, mais moi, je n'ai pas
d'enfants". Et la mère s'en alla...
Je
crois qu'il serait impudique d'essayer de se représenter ce qui
est passé dans cette âme humaine pendant des heures où Nathalie — c'est
tout ce
que nous savons d'elle — a attendu le moment où des hommes on
brutalement
ouvert une porte, l'ont empoignée et l'ont fusillée. Mais nous pouvons
nous
reporter à l'Ecriture Sainte qui nous des images justement
révélatrices.
Nathalie est restée seule dans cette masure, la nuit tombait, le froid
descendait, l'humidité se dégageait des murs. Elle était seule, de plus
en plus
seule dans cet étau de la peur de la mort venante. Son Maitre, 19l9 ans
auparavant ou a peu près, se trouvait au Jardin des Oliviers: il
faisait nuit,
une nuit froide, dit l'Evangile ; Il était seul, l'angoisse de la
mort l’étreignait,
Il luttait ; trois fois Il cria au Seigneur de faire passer cette coupe
à-côté
de Lui; dans son angoisse Il a cherché le secours d'une amitié humaine,
Il ne
l'a pas trouvée... Les disciples dormaient ! Il est revenu pour
faire face
seul à Son angoisse, le sang a perlé sur son front ; Il est revenu de
nouveau
et n'a trouvé aucun secours auprès de personne et s'est de nouveau
trouvé seul
devant la mort qui se rapprochait : Judas était déjà en route... Et
cette jeune
fille de vingt et quelques a dû aussi voir cette mort qui vient, elle
aussi a
dû sentir son corps pénétré de froid, d'humidité, de fatigue et de
sommeil;
elle aussi a dû se dire: "Mon Dieu, si quelqu'un venait et me disait un
mot d'encouragement !.." Mais personne ne pouvait venir que ses
meurtriers.
Elle ne pouvait pas sortir, puisque sortir pouvait vouloir dire :
ne pas
être trouvée par la mort qui la cherchait...
Et
puis, un autre exemple : St Jean Baptiste qui attend la mort
dans la prison et qui tout à coup est saisi d'un doute : si
Jésus-Christ
est celui dont il était appelé à être le précurseur, avoir vécu et
mourir
valaient la peine. Mais s'il s'était trompé, alors toute ses années
d'ascétisme
dans le désert, de solitude, de haine, ce temps de prison, cette
attente de
l'exécution, étaient une défaite totale parce que cela n'avait aucun
sens,
c'était vain, inutile. Tout ce qu'il croyait avoir entendu de Dieu
était une
illusion et, si Dieu avait parlé, il avait menti 3 fois. Et il a envoyé
deux de
ses disciples : "Es-Tu celui que nous attendons ou faut-il attendre un
autre ?" Jésus ne répond pas, Il donne au prophète la réponse du
prophète:
"Vois, les aveugles voient de nouveau, les paralytiques marchent, les
pauvres prêchent l'Evangile. Dites à Jean : Bienheureux celui qui
ne succombera
pas à la tentation", et c'est tout ! Et elle aussi a dû se
demander:
"Et si je meurs pour rien ? Si moi, je suis prise au piège et si déjà
cette famille a été fusillée en route ? Alors, toute ma jeunesse, toute
la vie
est devant moi, toutes les possibilités... "
Et
un troisième exemple qui appartient aussi à l'Ecriture Sainte:
Pierre dans la cour de Caïphe. Lui aussi, il a froid et il est fatigué;
lui
aussi est déprimé et il a peur. Et il suffit qu'une jeune servante lui
demande : Es-tu aussi de la bande ? — pour qu'il réponde :
"Non,
je ne connais pas cet homme". Et il sort, il est en sécurité. Elle
aussi
aurait pu sortir; il suffisait d'ouvrir une porte et de faire un pas...
Même si
les exécuteurs étaient là, elle aurait pu dire: "Je ne suis pas celle
que
vous cherchez". Comme Jésus, elle aurait pu ne pas dire: "Je suis
celui que vous cherchez".
Voilà
trois exemples qui nous mettent en présences de cette
situation humaine, mais qui nous montre aussi que cette femme était
réellement
dans une situation christique: c'était le Christ en elle. C’est là ce
que
j'appelle, dans le. sens fort, un acte — et non pas une parole —
d'intercession.
Intercéder veut dire: faire un pas qui vous porte au cœur d'une
situation. Job
(Ch.9) nous dit :"Où est l'homme qui se placera entre moi et mon juge
et
qui mettra sa main sur la mienne? Où trouverai-je celui qui n'aura pas
peur
d'être entre le marteau et 1 'enclume ? Le Christ est cet homme,
mais
Nathalie est le Christ dans la situation donnée. Quand nous lisons chez
St.
Paul: "Ce n'est plus moi, c'est le Christ qui vit en moi", nous
pouvons saisir aussi, dans l'exemple que je vous donne, une ombre de ce
que
Paul voulait dire, parce que, près de 50 ans sont passés depuis lors,
la femme
sauvée, qui est devenue maintenant une vielle femme et ces enfants qui
sont
maintenant un homme et femme murs, ne vivent que dans la conscience que
quelqu'un a versé (et
non) épanché
sa vie, et qu'ils ne vivent que dans cette vie épanchée et
qu'ils doivent vivre dignement, à la hauteur de ce sacrifice parfait.
Ceci
est un premier exemple. Je voudrais maintenant vous dire un
mot de plus et vous donner trois exemples beaucoup plus brefs. Il y a
un fait
qui me frappe quand j'examine la destinée et la situation de l'Eglise
orthodoxe
derrière le rideau de fer, particulièrement l'Eglise russe que je
connais de
façon beaucoup plus intime que les autres; c'est le sens nouveau qui
est donné
au martyre. Les martyres des premiers âges sont des témoins de ce que
la vie ne
peut pas leur être retirée; ce sont les Héraults de la vie éternelle,
victorieuse, qui acceptent la mort pour prouver la vie. A l'époque
actuelle
ceci continue encore, mais une nuance nouvelle c'est introduite : la
certitude
que celui qui donne sa vie fait quelque chose pour sauver celui qui la
lui
prend, à la condition que la charité reste entière et que la victoire
reste à
Dieu en lui et non pas au monde .
Quelques
exemples : un peu après la révolution, en I9l9, un
de nos jeunes prêtres est arrêtés pour avoir prêché l'Evangile et fait
son
travail pastoral. Il passe un certain temps en prison et en sort vieil
homme,
brisé, chenu; sa famille l'entoure et lui dit; "Que t'ont- il fait?
Reste-t-il quelque chose de toi?" Et il répond: "Par la souffrance
ils ont tout brûlé en moi. Une seule chose a survécu :
l’amour".
Ensuite jusqu'à sa mort
dans un camp de concentration il passa sa vie à prêcher l'amour à ceux
qu'ils l'ont tourmenté, il fut pris et emprisonné parce qu'il
essayait de prêcher même à ceux-là qui étaient ses tortionnaires.
Autre
exemple d'un homme que j'ai connu de prés; il revint après
quatre ans d'un camp d’Allemagne. Je lui pose la même question et il me
répond:
"J'ai perdu la paix».- "Avez-vous perdu votre foi ? Lui
demandai-je". "Non, ma foi est entière mais je pense nuit et jour à
ces hommes qui étaient tellement pris de haine qu'ils ont pu me tourmenter
comme ils l'ont fait. Eux ne savent pas qu'un jour ils se tiendront
devant le
jugement de Dieu et qu'ils seront face à face avec l'amour divin. Mais
moi je
le sais et maintenant je ne souffre plus, je sens que je n'ai rien à
leur
offrir pour leur rédemption. Ma prière, qu'est-elle maintenant qu’elle
n'est
plus soutenue par la vie".
Un
autre exemple pris dans un journal allemand paru peu après la
fin de la guerre; il nous apporte la prière d'un prisonnier juif qui
est mort
dans un camp. "Seigneur, dit-il en substance, lorsque tu viendras dans
ton
royaume ne te souvient pas seulement des hommes de bonne volonté,
souvient-toi
aussi des hommes de mauvaise volonté. Mais alors, ne fais pas mémoire
de leur
cruauté, des souffrances qu'ils nous ont infligés, rappelle-toi plutôt
les
fruits que nous avons porté dans la souffrance, la patience, le
courage, la
grandeur d’âme, l'humilité, tout ce que la souffrance a fait naître en
nous. Et
puisse les fruits que nous avons portés à cause d’eux, être leur
rédemption.
"
Un
autre exemple : un de nos évoques, mort au cours de l'une
des purges stalinienne d'une mort douloureuse, laisse une note à l'une
de ses
disciples : " Souviens-toi qu'il nous est donné non seulement de
croire en Christ, mais de souffrir et mourir pour Lui et avec Lui. "
C'est
le privilège du chrétien de mourir martyre parce que seul le martyre
pourra, au
jour du jugement, s'établir devant le tribunal du Christ en défense de
ses
tortionnaires et lui dire: "Seigneur, en ton nom, à ton exemple, je
leur
ai pardonné, tu n'as plus rien à leur demander. "
Ces
quatre exemples dans lesquels nous voyons l'illustration de
cette pensées de Jean Danielou qui disait: "La souffrance est le point
de
rencontre du bien et du mal et le seul espoir de rédemption du mal
parce que le
mal, la haine s'insèrent toujours dans une substance humaine, dans une
chair
humaine, ou dans une âme humaine. Et lorsque le tranchet de la
souffrance y
plonge, celui qui est la victime acquiert le pouvoir vraiment divin de
pardonner au nom de Dieu-même parce que c'est le Dieu incarné. " La
réside
le sens de la victoire de l'Eglise mais réside aussi le nœud de cette
relation
qui lie l’Eglise au monde. Je vous ai donné des exemples extrêmes, mais
réduisez ces exemples, ramenez les simplement à l'échelle de votre vie
de tous
les jours et vous verrez qu'à chaque instant vous pouvez pardonnez et
ne pas
pardonnez, liez ou déliez, que vous pouvez toujours être la victime
innocente
ou le tortionnaire, que vous pouvez dans toute situation humaine
réalisez
pleinement ces exemples de Nathalie et de son acte d'intercession
parfaite qui
en fait une vrai image du Christ, ou de ses quatre personnes qui ont su
vivre à
la profondeur de celle de l'Eglise. Ce n'étaient pas des saints
brevetés, ce
n'étaient pas des hommes qui avaient dépassés la chair et le sang,
c’étaient
des hommes comme nous, mais ils croyaient sérieusement à ce qui est
l'objet et
le contenu de notre foi. Quand ils ont été mis à 1'épreuve, ils ont su
aimer le
monde lorsque ce monde s'est tourné vers eux avec une face hideuse
parce que ce
qu'ils ont vu dans le monde, c'est la victime du mal et non pas le mal.
Ils ont
compris que s'il savent pardonner, s'ils savent envelopper d'amour
divin comme
d'un feu qui purifie tout le mal dont eux-mêmes sont victimes, ils
auront
vaincu le monde en eux, et ce faisant ils auront vaincu le mal pour
ceux qui en
étaient les porteurs.
Je
me rends compte que je vous ai fait un exposé qui vous a déçu
parce que, d'une certaine façon, il n'est pas pratique; vous vous
attendiez
probablement à ce que j'essaye de décrire la façon dont les Eglises
doivent se
comporter dans le monde. Je ne veux pas le faire. Ce que je sais, c'est
que ce
dont j'ai parlé aujourd'hui est l'expérience de toute une moitié du
monde
chrétien qui se trouve derrière le rideau de fer et qui vit cette
expérience
avec une profondeur qui varie selon les âmes et les situations, mais
théologiquement,
c'est la vision que nous avons dans l'Orient chrétien, c'est
l'expérience
tragique des 50 dernières années; je crois en tout cas l'évêque
de l'Eglise russe, que ce témoignage d'une Eglise
souffrante qui ne s'est pas laissé vaincre par la haine et qui de ce
fait reste
invisible dans ses profondeurs, ce témoignage est plus important à
apporter que
les conseils que je ne sais pas suivre moi-même et que probablement
d'autre
vous donneront mieux que moi.
(CERCLE
OECUMENIQUE UNIVERSITAIRE DE LOUVAIN. RENCONTRE DU I7
NOVEMBRE 1966 - L'
EGLISE ET LE MONDE -
Par
S.E. Mgr Antoine, BLOOM, Métropolite de Souroge, Exarque du
Patriarche de Moscou pour l'Europe Occidentale)
(Extrait
des archives du Métropolite Antoine de Souroge:
http://masarchive.org/Sites/Site/French.html)