Paradis - Resurrection et l'Enfer dans la Tradition orthodoxe
Paradis - Résurrection et l'Enfer
Père Marc Antoine Costa de BeauregardLa croyance en la
résurrection générale dans le peuple juif s’est dessinée progressivement à
partir du II° siècle. C’est une espérance qui est née dans le peuple juif. A
l’époque du Christ, tous les juifs ne croient pas en cela, ce n’était pas une
espérance, une connaissance générale.
Quand les juifs se
représentaient la vie après le trépas, comme un prolongement indéfini, une survie dans le shéol. Et
progressivement, il y a une espérance dans la résurrection. La résurrection universelle
que nous attendons est un réveil. Le statut des défunts est un sommeil.
Comme avant le Christ, toute
l’humanité naissait dans une humanité du premier Adam, avec toutes ses
caractéristiques, les conséquences, les souffrances du premier Adam. Tout
le monde ressuscitera, les justes et les injustes. Il
est impossible à un homme d’échapper à la résurrection même en niant Dieu du
matin jusqu’au soir, de même que l’on ne pouvait pas échapper à la condition du
premier Adam. La mort, l’anéantissement
est devenu impossible. On ne peut anéantir l’humanité.
Mais cette résurrection
« obligatoire » concerne la nature mais il est question de la
réponse, de la prise de conscience, de l’adhésion libre à cela, de dire oui,
et cette question là n’est pas réglée.
Résurrection
est une chose, déification en est une autre. « Tous ressusciteront,
les uns pour la sanctification, les autres pour le jugement ».
La nature humaine est
certainement guérie de la mort, et cette restauration, cette guérison
manifestée, actualisée lors de la résurrection finale, des bons et des
méchants. Mais la volonté n’est pas guérie de la même manière, elle doit se tourner
vers Dieu par conversion libre. La volonté humaine ne peut participer à cette
guérison de toute la nature que par le mystère de la liberté, c'est-à-dire tout
ce qui consiste en l’obéissance : l’amour de Dieu, le don de soi à Dieu.
Le professeur Florovsky
citant des textes de Cabasilas dit que la résurrection est une rectification de
la nature. Le Christ a rendu à la nature sa forme normale, naturelle, puisque
par le premier Adam, la nature avait été dénaturée. Mais Cabasilas ajoute :
« le Royaume des cieux, la vision béatifique, l’union au Christ
présupposent une orientation de la volonté, une orientation du désir, des choix
de la personne ».
Il n’est pas suffisant de
faire la distinction entre nature et volonté car la volonté appartient à la
nature, car c’est une distinction entre nature et liberté, la liberté étant
plus greffée sur la dimension hypostatique de l’être humain.
Cabasilas dit qu’on ne peut
pas nous obliger au Salut, à choisir Dieu, à vivre selon Ses commandements. On
ne peut pas obliger l’être humain à faire quoi que ce soit.
Du point de vue
anthropologique, la Résurrection donne à la nature humaine un statut nouveau,
mais en même temps elle donne à la vie personnelle une importance absolument
nouvelle, inégalée. Jamais dans l’histoire, la question de la conversion
personnelle n’a été posée d’une manière aussi urgente, absolue et nécessaire,
que sous le règne du deuxième Adam.
Il y a quelque chose de
paradoxal dans la situation de l’homme après la Résurrection : il y a une
espérance formidable, une certitude de tous ressusciter, et en même temps c’est
une situation dans laquelle la responsabilité personnelle de chacun, la liberté
personnelle est majoré de manière extrême. La balle est dans le camp de
l’homme, en ce qui concerne l’exercice de sa liberté et la réponse.
Saint Maxime dit :
« Dieu sera tout en tous », comme le dit l’Ecriture. Mais suivant
l’attitude des uns et des autres, il sera chez les uns et chez les autres comme
grâce sanctifiante, grâce à la vie divine, et chez les autres comme jugement.
Tout le monde en
ressuscitant va retrouver une existence plénière, âme et corps, la restauration
de la nature humaine dans sa plénitude. Mais ceci n’est pas vivre, c’est
simplement exister. Nous les chrétiens nous savons que nous pouvons espérer
autre chose, et annoncer autre chose : non seulement proposer la déification, au lieu de l’immortalité,
mais proposer une vraie vie, ce que le Christ appelle la vie éternelle, plutôt
que simplement une existence qui serait éventuellement une existence sans Dieu, donc en fait en enfer.
Les
défunts
L’enfer est une forme de
sous-vie, de sous-existence, avec toutes les souffrances que cela peut
représenter d’être loin de Dieu.
Purgatoire
et limbes
Le purgatoire fait partie
des doctrines qui ont été développées par l’Eglise occidentale après le
schisme.
Pour cette doctrine
médiévale occidentale, l’être humain doit expier ses fautes. Ce qu’il n’a pas
expié dans cette vie, dans ses souffrances expiatoires, il les expiera dans ce
temps, considéré comme un effet de la miséricorde de Dieu. Cette idée s’est développée
en Occident à la fin du Moyen-âge, à l’époque gothique. C’est logique puisque
l’existence est conçue de façon expiatoire. Ce qui n’a pas été expié
dans cette vie doit l’être dans l’autre. Donc la plupart des défunts (sauf ceux
qui ont pu acquérir des mérites suffisants avant) ont cette période d’expiation
providentielle et nécessaire, avant la résurrection.
Il s’agit d’une
purification : on parle de feu purificateur, de souffrances
purificatrices.
Mais la souffrance par elle-même est une chose terrible qui n’a aucune
valeur salvique.
Encensement
et embrassement des morts
Quand on encense le défunt,
on encense l’hypostase dont le corps est le signe. Chaque fois que nous voyons
un défunt allons l’embrasser, c’est « montrer que la mort n’a plus
d’emprise sur nous » nous embrassons les défunts comme une démarche de
résurrection.
Lieux
des saints
Saint Irénée dit que la Mère
de Dieu est au Paradis. Il y a des lieux spirituels, parmi des lieux d’attente,
qui sont des lieux privilégiés. Le prophète Enoch a été
transporté dans un lieu qui n’est pas dans un lieu d’infra-vie, mais ce n’est
pas la résurrection.
Certains ont vaincu la mort
dans cette vie, quand le trépas est venu, ils sont restés vainqueur de la mort.
Cela se manifeste souvent par l’incorruptibilité du corps.
L’enfer est le refus
de Dieu. Si nous nions l’enfer, nous nions la liberté de
l’homme. « Personne n’est
aussi bon et plein de miséricorde que
Dieu », écrit Marc le Moine,
« mais Lui-même ne
pardonne pas à ceux qui ne se repentent pas », c’est-à-dire : le pardon
de Dieu
est absolu, mais il ne peut atteindre ceux qui le refusent. L’enfer n’est pas
un lieu où Dieu emprisonne l’homme : il est un endroit où l’homme
s’emprisonne
lui-même.
En enfer, les maudits
ne seront pas privés de l’amour divin ; mais, par leur propre choix, ils
éprouveront dans la souffrance ce que les saints éprouveront
dans la joie : «
l’amour divin deviendra un tourment intolérable pour ceux qui ne l’ont
pas
acquis à l’intérieur d’eux-mêmes ».
Lorsque
Daniel et les
enfants furent jetés dans la fournaise, ils ne brûlèrent pas ; en
revanche, les
impies furent dévorés par la flamme alors qu’ils s’approchaient pour
l’attiser…
Ou encore : quelqu’un peut aimer une autre personne ; mais celle-ci
peut avoir
de lui un dégoût viscéral. Alors, toute protestation d’amour de la
personne qui
aime vers un être qui ne l’aime pas produit une grande souffrance.
(D’après
Premiers
éléments de catéchèse, 2ème partie, p. 51-52).
Saint Isaac Le
Syrien
Le
maître mot de Saint Isaac
le Syrien, c’est l’Amour. Seul
l’amour de Dieu rend compte de la création, seul
il explique l’incarnation et la mort sur la croix, seul il justifie que
Dieu ne
châtie jamais par colère, seul il empêche de penser à une damnation
éternelle,
à un enfer sans fin…
Aux
yeux d’Isaac, toute
l’économie du salut de l’homme procède de l’amour de Dieu, elle
ne dépend pas
du péché d’Adam. Il y a un renversement
radical de la théologie de la rédemption à l’honneur en occident.
« Si
cette aventure
étonnante ne se fut produite que pour le pardon des péchés, tout autre
moyen eu
suffit pour nous racheter. Quelle objection l’eut empêché d’accomplir
par une
mort ordinaire ce qu’il a fait ». Pourquoi n’a-t-il pas voulu une
mort
dans son lit ? « Non il n’a pas voulu d’une mort ordinaire
afin que
tu puisses te rendre compte de la nature de ce mystère. Quelle
nécessité y
avait –il à ces outrages et ces crachats ? La mort à elle seule
aurait
suffit pour notre rédemption et surtout la mort de quelqu’un comme
lui :
« Dieu a tellement aimé le monde qu’il a donné son fils
unique » (Jn
3,16).
En
revanche, saint Isaac
affirme que « ceux qui sont
tourmentés dans l’enfer sont flagellés avec le
fouet de l’amour ! Car, ceux qui se rendent compte qu’ils
ont péché contre
l’Amour supportent un tourment plus grand que la peur de ce châtiment.
La
tristesse qui envahit les cœurs à cause des péchés contre l’amour est
plus
terrible que n’importe quel châtiment possible. Mais il serait déplacé
de dire
que dans l’enfer, les pécheurs seraient privés d’amour ».
L’enfer, explique saint
Isaac Le Syrien, c’est comme quand, ici bas, un ami souffre de n’avoir
pas
répondu à l’amitié de son ami. L’enfer,
c’est la prise de conscience de la non
réceptivité de notre amour à l’amour
divin ». Et cette prise de conscience
engendre une souffrance hors de toute souffrance, une sorte d’implosion
existentielle : notre néant d’amour nous effondre.
Dans
toutes les religions ou
dans toutes les métaphysiques, il y a l’idée d’un être suprême
logiquement
nécessaire comme cause première de l’existence. Mais dans l’expérience
ecclésiale, il n’y a pas d’être suprême, mais communion de personnes,
présence
de trois personnes qui communiquent la vie, qui existent en communion.
C’est
pourquoi la seule définition de Dieu
que nous rencontrons dans la bible, c’est
que Dieu est Amour ; Non pas une qualité morale de Dieu,
une vertu, un
comportement, mais un mode
d’existence : Dieu existe parce qu’il est Amour
et son existence est le fait de l’Amour.
Ainsi
notre vie est vie
réalisée comme relation d’amour. L’Eglise est ainsi le lieu où nous
sommes
invités afin de transformer notre existence en « existence comme
relation ». Cependant, il y a une déviation
qui transforme cette communication en désir de posséder pour nous
mêmes :
la nourriture, les autres, il faut tout soumettre à son désir.
L’église nous invite à
changer notre mode d’existence : il faut communiquer la vie, et celle-ci
devient participation au mode d’existence du Christ, au Corps
et sang du
Christ.
Nous
sommes des hypostases.
C’est à dire que nous représentons une existence, une réalité
existentielle
parce que Dieu nous appelle à l’existence.
« Tout
le monde après
la mort va être uni à Dieu, et aux énergies divines. Mais pour ceux qui
ont
cultivés une attitude positive, c’est à dire ceux qui sont prêt à
communier à
l’existence et à la vie même de Dieu, cette unité avec les énergies
divines du
Saint Esprit sera le paradis. Tandis que ceux pour ceux qui ne seront
pas
aimer, cette unité avec Dieu sera une torture, ce sera vraiment
l’enfer » écrit
Saint Maxime le Confesseur.
Cela
signifie que le paradis
ou l’enfer ne dépend pas d’une certaine justice divine, ce n’est pas
Dieu qui
punit les pécheurs. En réalité tout
dépend de la possibilité ou de
l’impuissance de l’homme de communier vraiment à l’existence et à la
vie de
Dieu. Dieu va se donner à tous, à
chacun, va être avec tous, mais cette unité va réaliser des modes
d’existence
différents : le paradis ou l’enfer.
(Tradition orthodoxe)