Vieillesse et Mort (Père Alexandre Schmemann)
Pendant une de
nos promenades, je conversais avec L. [Liana – Juliana, la femme du père
Alexandre] sur la vieillesse et la mort. Je lui disais qu’il me semblait
parfois que j’avais déjà reçu de la vie tout ce que j’en attendais ;
j’avais appris tout ce que je voulais apprendre. C’est le commencement de la
vieillesse, et je pense, ce devrait être le moment pour commencer à se préparer
à la mort. Non pas se concentrer sur la mort, mais au contraire, purifier son
raisonnement, sa pensée, son cœur, sa contemplation et se concentrer sur
l’essence de la vie ; sur cette mystérieuse joie. À part cette joie, nous
n’avons besoin de rien d’autre parce que « des rayons lumineux jaillissent
de cette joie ».
La jeunesse ne
connaît pas la mort à moins d’être frappée par cette peur névrotique, extrême
de la mort. La mort n’a pas de relation avec « moi » (quand on est
jeune), et si elle me touche, c’est un scandale et ma vie entière en est
assombrie. Mais la connaissance de la mort vient petit à petit – non de
l’extérieur, mais de l’intérieur. Il y a alors deux voies ouvertes devant
moi : la première consiste à étouffer cette connaissance, à m’accrocher à
la vie (« Je peux encore être utile ») et de continuer à vivre comme
si la mort ne me concernait pas. La seconde, la seule qui soit juste, je pense,
la seule vraiment chrétienne, consiste à transformer la connaissance de la mort
en connaissance de la vie, et la connaissance de la vie en connaissance de la
mort.
La gérontologie
contemporaine se concentre sur la première attitude : faire en sorte que
les personnes âgées se sentent nécessaires et utiles. C’est une tricherie (ils
ne sont vraiment pas nécessaires) et une déception (ils savent qu’ils ne sont
plus nécessaires). Sur un plan différent cependant, ils sont nécessaires, mais
pas dans tous les problèmes qui affectent notre vie. Nous avons besoin de leur
liberté, de la beauté de la vieillesse, du reflet du rayon de lumière qui émane
d’elles, de la mort du cœur et de la naissance de l’esprit. Voilà pourquoi il
faut commencer très tôt l’ascétisme de la vieillesse, le mûrissement de la vie
éternelle.
Je sens que mon
heure est venue. Mais tout de suite se manifeste un ensemble de soucis et de
problèmes. Je désire ajouter
ceci : La jeunesse ne connaît pas la mort parce qu’elle ne connaît pas la
vie. Cette connaissance se manifeste « après que nous ayons vu la lumière
du soir ». « Et le soir et le matin étaient le premier jour »
(Gn 1, 5). Les jeunes vivent, ils ne remercient pas. Seulement ceux qui
remercient vivent vraiment.
Extrait de : Journal du Père Alexandre