Amour - Mariage et sexualité (par Jean Chryssavgis)
L'amour, le mariage et la sexualité nous concernent tous, car l'amour est
la vocation de chacun d'entre nous. En tant que chrétiens, nous croyons que
c'est par l'amour que la création tout entière a été faite. La source et la fin
de toute chose est l'amour, car la source et la fin de toute chose est Dieu, et
que Dieu est amour (1 Jn 4,8,16). Saint Jean Chrysostome décrit l'amour
absolu du Dieu incarné dans une homélie sur l'Évangile selon Matthieu :
« Je suis un père pour vous, dit le Christ et un frère, un époux et un
foyer, un infirmier et un vêtement, une racine et une pierre d'angle.
Tout ce
que vous pouvez désirer, je le suis pour vous. Mon désir est que vous n'ayez
aucun besoin quel qu'il soit. Je vous servirai ; car je suis venu non pour être
servi, mais pour servir. Je suis un ami et un membre du corps et sa tête, un
frère, une sœur et une mère. Je suis tout pour vous. Il suffit de rester en
communion avec moi. Pour vous, j'ai été pauvre, pour vous j'ai été un pèlerin,
pour vous j'ai été sur la croix et dans le tombeau ».
Même le mal dépend de l'amour. Si l'on en croit
l'optimisme de certains Pères de l'Église, personne ne commet d'acte mauvais
sans croire que quelque chose qu'il aime en résultera. Donc, l'amour est
d'origine divine et de nature sacrée.
« L'amour est plus fort que la mort »
Du point de vue humain, le concept d'amour ne peut
aucunement être compris d'une seule façon. Il évoque une multitude de sens et
de dispositions d'esprit : qu'on parle de « faire l'amour », ce qui
peut signifier un acte physique sans amour, ou de l'engagement profond d'un
couple avancé en âge ; qu'il s'agisse de motivations égoïstes ou de don
désintéressé, de la douceur d'un enfant qui tient la main de ses parents ou de
l'intimité de deux amis qui se donnent la main.
Les êtres humains sont faits pour s'aimer et se
regarder l'un l'autre. L'expérience de l'amour est celle du ciel et de la vie ;
l'absence d'amour est enfer et mort. Saint Macaire d'Égypte, pour évoquer sa
vision de l'enfer, parlait de deux personnes liées dos-à-dos, qui jamais, de
toute éternité, ne pourraient se voir face à face. L'amour brise les chaînes de
la solitude ; il fait s'écrouler les murs de l'égoïsme. Nous ne sommes jamais
plus puissants que quand nous sommes, par amour, vulnérables. L'amour chasse la
peur ; il est plus fort que la mort (cf. Ct 8,6). Dire à quelqu'un : « Je
t'aime », c'est faire une déclaration métaphysique ; c'est comme
dire : « Tu ne mourras jamais ! »
Conscients de cette intensité de l'amour, les Pères de
l'Église ne craignent pas de le comparer à l'éros ou à la passion. Denys
l'Aréopagite décrit Dieu comme un « fou de l'amour », ardent
protecteur de sa création. L'amour est si puissant, qu'une seule expression
vraie de cet amour révèle une ouverture qui transfigure le monde entier.
Regarder dans les yeux une autre personne avec amour, c'est voir l'âme du monde
entier, c'est voir l'image même de Dieu.
Un tel amour est un don de Dieu. Mais il demande
également qu'on le cultive et qu'on y travaille dur. L'amour a besoin de temps
et de finesse, de responsabilité et de respect. C'est un acte qui implique que
l'on croît soi-même pour combler l'autre, sans cesse. Au soir de la vie, nous
serons jugés uniquement sur le critère de l'amour. Cet amour est plus que de
simples sentiments. C'est une décision et un engagement. Si vous voulez aimer,
vous devez créer cet amour et non pas attendre que votre époux ou votre épouse
vous l'apporte.
Dans l'amour et le mariage, Dieu nous présente une merveilleuse
occasion de renaître, d'atteindre la maturité. C'est en effet un grand
mystère (Ép 5,32). La vie est le grand mystère – le grand mystère à vivre,
et à vivre en abondance. Et si nous travaillons à cet amour, si nous cultivons
l'amour, si nous baissons la garde de notre méfiance, si nous luttons pour
entrer en relation, nous remarquerons peu à peu que le monde tout entier change
et que le monde entier est beau. En réalité, bien sûr, c'est nous qui aurons
changé, c'est nous qui verrons les mêmes choses avec d'autres yeux.
Aspect physique et aspect spirituel
Les auteurs chrétiens ont, dès les origines, été mal à
l'aise vis-à-vis de l'amour physique ou sexuel. L'amour physique est un peu
considéré comme une forme dégradée de l'amour. Certains auteurs affirment que
le célibat est supérieur à l'amour vécu dans le mariage ; d'autres avancent que
le seul but de l'amour physique est la procréation. L'aspect physique, la
sexualité, ont été dégradés, regardés comme impurs. Ils sont considérés comme
quelque chose d'avilissant et de honteux ; on est habité par la peur et la
culpabilité. La sexualité est liée aux formes les plus basses de la vie, elle
est assimilée aux désirs impurs et aux instincts animaux.
La figure de saint Augustin et sa théologie ont modelé
la réflexion sur ce sujet en Occident, et ce jusqu'à aujourd'hui. Il en résulte
une schizophrénie innée dans cette sphère de notre vie, la plus intime et la
plus personnelle. Pour Augustin, la sexualité est une conséquence de notre
chute. Ève résulte de ce qu'Adam a fait défaut à Dieu ; la femme n'est pas
créée à l'image de Dieu, mais en tant qu'instrument de l'homme.
Pourtant saint
Paul avait clairement dit qu'en devenant une seule chair (1 Co 6,16), l'homme
et la femme symbolisent l'union du Christ et de l'Église. En tout cas, le
Christ n'a jamais assimilé le péché au corps, mais aux actes que l'on commet
dans son cœur (Mt 15,18-19). Pour les chrétiens, « la chair est la
charnière du salut » (Tertullien). Aussi, quel dommage que le
christianisme – en tant que religion du corps et de la chair, religion de
l'Incarnation – ait ainsi marqué le corps humain d'une cicatrice permanente !
Ce dont il est ici question, ce n'est pas d'arriver à
accepter un consensus avec le corps ou la sexualité, mais de reconnaître leur
lien crucial avec les aspects les plus profonds de la nature humaine. La
sexualité n'est pas accidentelle ; elle est véritablement essentielle à notre
réalité. L'amour sexuel et physique appartiennent au mystère de notre être.
Cela ne veut pas dire que sexualité et spiritualité soient la même chose. Mais
il y a cependant une correspondance intime entre les deux.
Le déni de l'une a
son reflet dans la dégradation de l'autre. Sans sexualité, il n'y a pas de
beauté ; sans beauté, il n'y a pas d'âme ; et sans âme, il n'y a pas de Dieu. Homme
et femme il les créa (Gn 1,27). C'est ce qui nous est dit immédiatement
après la création d'Adam et Ève à l'image et à la ressemblance de Dieu.
Pour
les Pères orientaux, sans Ève, Adam est incomplet. « La femme est faite en
pleine communion avec l'homme : partageant chacun de ses plaisirs, de ses
joies, chaque bonne chose, chaque chagrin, chaque douleur » (saint Basile
le Grand), « partageant avec lui la grâce divine elle-même » (Clément
d'Alexandrie). Écrivant exactement à la même époque que saint Augustin
d'Hippone, saint Jean Chrysostome revendique que « l'amour sexuel n'est
pas humain ; il est d'origine divine ».
Icône ou idole
Certes, il est difficile pour quelqu'un de prendre
conscience de la sexualité (de son corps) sans prendre conscience de la
sexualité (des corps) des autres. Et ainsi, dans l'union du mariage, l'homme et
la femme s'offrent l'un et l'autre à l'image de Dieu dans l'autre personne.
Cela n'est pas sans lien avec la rencontre qui se produit dans le cas de
l'icône. L'iconographie implique un art. Le mariage, de la même façon implique
un art.
L'amour n'est pas simplement un acte ; il est art. Le but de cet art de
l'amour – comme dans l'iconographie – est de se transfigurer l'un l'autre, de
se voir l'un l'autre comme la manifestation du divin Bien-aimé. S'il y a place
pour les icônes dans l'Église, il y a place également pour le mariage et
l'amour sexuel.
Le corps et l'amour sexuel sont semblables à une icône
qui ouvre à la beauté divine et à l'amour divin : « Bénie est la personne
qui est arrivée à un amour et à un désir de Dieu semblables à ceux d'un amant
fou pour la bien-aimée, générant le feu par le feu, l'éros par l'éros, la
passion par la passion, le désir par le désir » (saint Jean Climaque).
Voir l'autre comme icône, c'est voir le monde par les yeux de Dieu. C'est
abolir la distance entre ce monde et le monde à venir ; c'est parler, sur cette
terre et à cette époque-ci, le langage du ciel et du temps à venir ; c'est
révéler la dimension sacramentelle de l'amour.
Selon une parole apocryphe de
Jésus : « Le Royaume des cieux est rendu manifeste quand deux personnes
s'aiment ». L'icône nous apprend un autre mode de communication, au-delà
du mot écrit ou parlé. On nous apprend non pas à regarder les icônes, mais à regarder
à travers elles. De même, nous sommes appelés à pénétrer la surface de la
personne que nous aimons, et à révéler la profondeur sacrée qu'elle recèle.
En fait, le thème de la procréation est directement
lié à cette notion d'icône. À moins que l'amour conjugal n'ouvre le couple
au-delà de lui-même, à moins que la relation des deux dans le mariage ne
reflète la relation de la Trinité, à moins que l'amour du couple ne s'élargisse
d'une façon ou d'une autre, l'amour conjugal, l'icône qu'il est appelé à être,
se réduit à une simple idole. Le couple qui s'aime est en tout temps appelé à
avancer au-delà du reflet mutuel de l'un dans l'autre ; un miroir n'est pas une
icône, mais le reflet de soi-même.
Le couple est appelé à devenir une icône de
l'Église, une « Église en miniature ». Les dimensions de l'Église
révèlent les dimensions du couple marié. De même que nous croyons « en
l'Église une, sainte, catholique et apostolique », le couple lui aussi
devrait refléter cette même unité, sainteté, plénitude et apostolicité. Cela
est important, car l'Église refuse les représentations idéalisées ou
romantiques de la vie mariée et de la famille. Ainsi, le couple doit
« avoir une progéniture » ; l'amour doit « porter des
fruits !. Le paradoxe est là : le couple doit avoir des enfants, même s'il
ne peut avoir d'enfants.
Monachisme et mariage
Certains Pères de l'Église ont interprété les épîtres
de saint Paul comme l'affirmation implicite de la supériorité du monachisme sur
le mariage (cf. 1 Co 7,8-9). Cependant « si l'on accorde les honneurs à la
virginité, il ne s'ensuit pas que le mariage est déshonoré » (saint
Grégoire le Théologien). Saint Macaire d'Egypte s'exclame : « En vérité,
il n'y a ni vierge, ni personne mariée, ni moine, ni laïc ; mais Dieu donne son
Saint Esprit à tous, selon les intentions de chacun ». La version syriaque
de ce même texte dit : « En vérité, la virginité n'est rien en soi, pas
plus que le mariage, ou la vie monastique, ou la vie dans le monde... »
La pureté intérieure est toujours possible,
indépendamment des circonstances extérieures. Saint Syméon le Nouveau
Théologien est inflexible sur ce point : "Beaucoup considèrent la voie
monastique comme la plus bénie. En ce qui me concerne, cependant, je ne
voudrais placer aucune voie plus haut que les autres, ni louer l'une en
dépréciant l'autre. Mais en chaque situation, c'est la vie vécue pour Dieu et
selon Dieu qui est entièrement bénie".
Comme nous l'avons vu, dans une
relation d'amour, l'autre personne devient le centre d'attraction. Le but est
toujours un mouvement vers l'extérieur et au-delà de soi-même. La perspective
est toujours le Royaume des cieux. Les moines et moniales ont
traditionnellement compris cette vérité au même degré que les couples mariés.
Ainsi les Pères ascètes nous apprennent que l'amour n'est jamais satisfait ; il
est seulement accompli. L'amour n'est pas un acte de satisfaction, mais de don
total. L'amour sexuel est pour la gloire de Dieu, non pour la satisfaction
égoïste de l'homme.
L'amour véritable ne peut avoir d'accomplissement ultime
sans la chasteté. Dans L'échelle du Paradis, saint Jean Climaque place
la pureté (degré 29) immédiatement avant l'amour (degré 30). Le monachisme
n'est donc pas abstention de l'amour sexuel. Il est une autre manifestation de
cet amour. Le monachisme ne peut jamais être une extinction ou une diminution
de la réponse humaine la plus vitale à la vie. Il y a un élément d'ascétisme
dans le mariage, une épuration de l'amour, exactement comme il y a une
dimension d'amour dans le monachisme, une passion pour Dieu.
Dans la tradition
monastique, les passions sont traitées différemment ; elles sont dépassées par
des passions plus grandes. Une seule expérience forte d'amour passionné nous
fera avancer beaucoup plus loin dans la vie spirituelle que le combat ascétique
le plus ardu. Une seule flamme de pur amour suffit pour allumer un feu cosmique
et transformer le monde entier. L'amour n'est pas un problème physique ou
matériel. Il n'est pas en premier lieu une affaire sexuelle. Il ne devrait pas
être craint comme un tabou, mais reçu comme un mystère sacré ; il ne devrait
jamais être dissimulé comme un secret, mais révélé comme un sacrement.
Monachisme et mariage
Le monachisme, comme le mariage, est un sacrement
d'amour. Le monachisme, comme le mariage, est un sacrement du Royaume. La vraie
dimension des deux est eschatologique. Ainsi l'amour est plus grand que la
prière même, il est, en effet, prière. Car l'amour est ce qui définit la nature
humaine. Les moines comme les couples mariés doivent les uns comme les autres
continuellement lutter pour être ce qu'ils sont appelés à être – rester dans
l'enchantement de la flamme vivante de l'amour divin. Comme nous l'avons dit
précédemment, l'amour est un don d'en haut ainsi que quelque chose vers quoi on
doit tendre ; c'est un point de départ ainsi qu'un aboutissement. L'alpha et
l'oméga de la vie sont la première et la dernière lettre du mot grec signifiant
« j'aime » (agapaô). Cela est vrai pour un moine ou une
moniale, comme pour un époux ou une épouse.
Le sacrement du mariage
Tout sacrement est une transcendance de la division et
de l'aliénation. Dans le cas du mariage, chaque personne, chacun des conjoints
est appelé à devenir conscient de la présence divine dans l'autre. Tous deux,
mari et femme, doivent percer le rideau de la distance et du mensonge. Quand
cela se produit, l'union conjugale est plus forte que la mort, ne pouvant
« être rompue par personne ». Dans cette relation, le masculin n'est
jamais exclusivement le pôle actif, et le féminin n'est jamais exclusivement le
pôle passif.
Le fondement de toute relation sacramentelle est que l'homme et la
femme sont complémentaires : il y a une mutualité de don et de réception, une
rencontre de réciprocité. Aucun des deux ne doit considérer l'autre comme un
moyen visant une fin, quelque exaltée ou spirituelle qu'elle puisse être. Aucun
des deux ne doit utiliser cette relation pour quelque but que ce soit où
l'autre ne serait pas pleinement et personnellement impliqué comme partenaire
et participant actif et coopérant.
Cela signifie que les partenaires ne devraient pas
chercher l'accomplissement par l'autre de leur propre existence, ou une
dépendance l'un de l'autre. Je ne peux pas tenir mon époux ou épouse pour
responsable de mon vide personnel. À tout moment, j'ai besoin de découvrir la
complétude de mon vide en Dieu : c'est Dieu qui me fait savoir que je suis aimé
; c'est Dieu qui me donne le pouvoir d'aimer l'autre. Ici, à nouveau, nous
rencontrons le « caractère monastique » de la relation conjugale. Le
mariage n'est pas une solution magique aux problèmes de l'existence.
Comment
pourrait-il y avoir un mariage qui soit à la hauteur de telles attentes ?
Est-il étonnant que des mariages échouent, quand on nous dit aujourd'hui que
notre partenaire est notre « seconde moitié », quand nous sommes
moins que des personnes entières dans le sacrement ? L'amour personnel implique
une pleine dignité et une pleine identité, sans diminution aucune de l'autre
personne. L'intégralité et l'intégrité de la personne sont indispensables pour
un mariage sain. Et l'intégralité présuppose sincérité, et non amabilité.
L'amour est un acte de foi aussi bien qu'un acte de fidélité. Mentir, rompre,
dire un peu moins que la vérité, est toujours une tentation.
Cela veut dire que si l'on veut qu'il y ait de
l'intimité dans l'amour, il faut qu'existe aussi la possibilité du conflit.
Dans les mariages où il n'y a pas de conflit, il n'y a pas, en général, – ou il
risque de ne pas y avoir – de sincérité. Dans la société, et même dans
l'Église, on nous apprend à être gentils. C'est comme apprendre à être
insincères. Et alors, nous sommes tristes ou en colère, mais nous sourions ;
nous disons des choses que nous ne pensons pas. Alors que ce qui n'est pas
discuté ouvertement demeure irrésolu et cause des dommages dans la vie de nos
enfants.
Le sacrement du mariage
Nous devons être sincères sur nos échecs, ouverts à propos de notre
sentiment de vide. Ces choses-là sont une partie inestimable de nos relations.
Voilà pourquoi le mariage est autant une affaire de séparation que d'union ;
une affaire de détachement autant que d'attachement. Un poème de Khalil Gibran,
intitulé « Mariage », souligne ce paradoxe de l'état de séparation et
de proximité en amour :
Vous êtes nés ensemble, et ensemble vous serez à jamais.
Vous serez ensemble quand les ailes blanches
de la mort éparpilleront vos jours.
Oui, vous serez ensemble dans la mémoire silencieuse de Dieu.
Mais qu'il y ait des espaces dans votre unité.
Laissez les vents des cieux danser entre vous.
Aimez vous l'un l'autre,
mais ne faites pas de l'amour un lien.
Qu'il soit plutôt une mer mouvante entre les rivages de vos âmes.
Emplissez l'un l'autre vos coupes,
mais ne buvez pas à une seule coupe.
Donnez à l'autre de votre pain,
mais ne vous nourrissez pas de la même miche.
Dansez et chantez ensemble et réjouissez-vous,
mais que chacun permette à l'autre
d'être seul.
Comme les cordes d'un luth sont seules,
bien qu'elles frémissent à la même musique.
Donnez votre cœur,
mais sans le mettre sous la garde l'un de l'autre.
Car seul l'orchestre de la vie peut contenir vos cœurs.
Et tenez-vous debout ensemble,
mais pas trop près ensemble.
Car les piliers des temples sont distants l'un de l'autre.
Et le chêne et le cyprès ne poussent pas
dans l'ombre l'un de l'autre."
Sexualité et sacramentalité
Pour devenir une union sacramentelle complète, l'amour
entre un homme et une femme doit embrasser tous les aspects de leur vie –
chaque niveau et chaque potentialité de leur être. Cela inclut l'aspect
physique, spirituel, émotionnel, intellectuel de la nature humaine. S'il n'en
est pas ainsi, la relation reste inconsommée et inachevée, ni sacrée, ni
sacramentelle ; elle devient aussi bien handicapante que frustrante.
Cela nous fait mieux comprendre combien il y a peu de
mariages – même parmi ceux qui ont été bénis par l'Église – qui soient en fait
sacramentels. Cela indique aussi la liaison entre le mariage et la déification,
vers laquelle nous sommes tous appelés à évoluer. Ce serait là ma définition de
la « sexualité » : vrai achèvement et consommation à tous les niveaux
– accomplissement aussi rare que la théosis elle-même, bien qu'aussi noble en
tant que tâche et vocation.
Si l'un des partenaires se développe (sur un plan ou
sur un autre) au-delà de l'autre ou sur un autre rythme, ce niveau non consommé
ou qui n'a pas trouvé de réponse chez l'autre, cette partie restée sans
complémentarité, non réalisée, aura toujours tendance à chercher à s'exprimer
sous une autre forme ; elle sera incapable de fonctionner normalement et
pleinement à l'intérieur du mariage. Si l'intégrité et la totalité sont les
conditions cruciales d'une relation sacramentelle, il en va finalement de même
pour la continuité et l'engagement. La capacité de se transformer l'un l'autre
demande que l'on s'y consacre, avec patience, jusqu'à ce que les angles aigus
des rocs durcis de la relation soient adoucis, jusqu'à ce qu'un champ
magnétique soit construit à tous les niveaux. Alors chaque niveau, l'un après
l'autre, se déploie et agit l'un sur l'autre, et libère des potentialités qui
ne sont rien moins que divines. Dans ce contexte, la fidélité dans la relation
est un reflet de la propre nature de Dieu, longanime et plein de miséricorde.
En dernière analyse, ni le mari ni la femme ne
s'approprie ce que l'autre offre. Au contraire, chacun l'offre en retour – en
même temps que son propre être – à la source de toute vie, à Dieu, que chacun
de nous vient contempler, et rencontrer, et aimer dans l'autre, exactement
comme nous le faisons dans la liturgie eucharistique. L'homme et la femme
deviennent le pain et le vin de l'eucharistie. Alors l'amour sacramentel
devient bénédiction, conférée par le Créateur à deux créatures qui ont parcouru
le même cours de la vie à travers les obstacles ou joies auxquels il a pu les
amener. Et c'est ainsi qu'ils entreront, transfigurés, dans le Royaume de Dieu.
(Première publication dans Souroge,
revue du diocèse du patriarcat de Moscou
en Grande-Bretagne. Traduit de l’anglais
par le Service orthodoxe de presse
SOP no. 275, février 2003.)