Déification de l'homme
La véritable connaissance de Dieu consiste dans
l'assimilation de la créature à Dieu. Il est différent de constater l'œuvre de Dieu en
nous et de devenir dieu. Comment se fait l'assimilation à Dieu, la
déification ? Essentiellement par l'ordre de la charité. L'acquisition
de la charité constitue une véritable assimilation à Dieu, une véritable
déification, une véritable connaissance. Connaissance pour dire qu'il
n'y a plus de distinction entre un objet et un sujet, mais qu'il y a union.
L'incarnation n'est pas seulement de devenir
consanguin du Christ. Il faut aussi que la charité qui est dans le Christ passe
en moi, soit en moi comme elle est en lui. Que l'Esprit du Père qui est dans le
Verbe incarné entre dans la créature, assimilé au Christ. L'assimilation au
Christ devient forcément une capacité d'être rempli par l'Esprit Saint qui
remplit déjà le Christ.
La charité, on lui attribue essentiellement de ''nous
enflammer d'une sainte ardeur à l'amour du Christ et nous inspirer une aversion
entière pour tout ce qui est contraire à cet amour du Christ''. La loi de
l'amour est essentiellement spontanéité. Ce n'est plus qu'il faut faire ou
ne pas faire. Quand nous sommes enflammés par cette charité, nous nous ne
déterminons pas par des interdits ou permissions. Nous sommes dans la Loi du
Christ, et simplement nous détestons ce qui est contraire à l'amour du Christ.
L'ordre de la charité est le seul qui mérite le nom de
ressemblant à Dieu. Seul celui qui est rempli de charité, qui fait les
choses par amour, et non par peur de l'enfer, ou par ambition pour des biens
spirituels, celui qui agit parce qu'il aime, par plaisir, celui est ressemblant
à Dieu. C'est le degré de la gratuité. Le fait d'appliquer les commandements de
l'Evangile pour le plaisir et non par peur de l'enfer ou ambition (ce qui est
mieux que rien, il faut au minimum faire les choses par crainte de l'enfer),
c'est ressembler véritablement à Dieu.
L'esclave est dominé par la crainte, la foi aussi car il travaille pour un maître, l'espérance attend la récompense et correspond à l'ordre du mercenaire. On mène une vie chrétienne dans l'espérance des biens futurs, pour être sauvé, pour aller au paradis.
Le signe du fils, c'est que l'on peut
dire: « ce qui est à Moi est à Toi », qui se
confiant à l'indulgence et la libéralité paternelles ne doute pas que tout ce
qui est à son père ne soit également sien: c'est la parabole du fils prodigue:
1° sentiment de celui qui ''je ne suis plus digne d'être appelé fils'', se
considère comme indigne de quoi que ce soit; 2° mais songeant au salaire dont
on paie les mercenaires, il dit ''je retournerais chez mon père'', il vit dans
le souvenir qu'il a un père mais accepte de se nourrir de la nourriture des
cochons.
« Cependant le Père a bondi à sa rencontre. Cette
parole d'humble repentir que dicte la tendresse, il l'accueille avec encore
plus de tendresse, et le restitue dans sa dignité de fils. Il lui donne
justement le partage de ses biens. C'est le 3° degré de la charité.
C'est l'idéal même de l'évangile qui n'est pas
simplement l'accomplissement des commandements pour une certaine justice,
qui n'est pas le désir de goûter quelque chose dans la prière, de faire une
certaine expérience spirituelle, mais ''c'est le précepte même du Sauveur qui
nous invite à cette ressemblance au Père: Soyez parfaits, comme votre Père
céleste est parfait'' (Matt 5,48).
‘‘Nous aimons Dieu parce qu'il nous a aimé le
premier'' (1 jn 4,18). Nous devons l'aimer uniquement pour Son
amour. Même avec le désir d'être sauvés. Il y a un stade dans notre vie
chrétienne, où le souci de notre propre salut ne nous importe plus. Si nous
restions chrétiens c'est que nous aimons cela. Sans souci d'être sauvé ou de ne
pas être damné. Ces questions de peur ou d'intérêt sont totalement dépassées.
Cet aspect de charité comme ressemblance divine, et que l'on fait cela par
plaisir.
Si nous sommes chrétiens ce n'est pas parce que l'on nous
a forcés à l'être, ou que l'on a peur, que l'on est intéressé à une jouissance
personnelle malsaine. C'est parce que nous aimons. Nous sommes heureux comme
cela. C'est très important de montrer que la vie chrétienne est le chemin du
bonheur. Dans la vie spirituelle, l'homme cherche le bonheur. Le bonheur
qu'il cherche équivaut à la connaissance de Dieu, source de tout bonheur. Alors
se manifestent en lui les signes mêmes de la ressemblance; Il aura des
comportements divins, immédiatement reconnaissables.
‘‘Il embrasse avec un égal amour la patience et la
douceur, à l'égard d'autrui. Les manquements des pécheurs n'irritent pas plus
sa colère; mais plutôt il implore leur pardon... l'absence de jugement''. Le
signe de la charité est cette égalité d'humeur à l'égard d'autrui, l'absence de
jugement en particulier. Ici est donnée la possibilité de prière pour autrui.
Il comprend que ce n'est pas de la colère qu'il faut
avoir pour ceux qui s'égarent mais de la commisération, compassion. Car il sait
lui-même que s'il n'est pas tombé, ce n'est pas grâce à ses propres forces,
mais grâce à Dieu. Cette attitude de ''l'être en Dieu'', d'être
ressemblant, s'accompagne d'un sentiment d'être pécheur. Il ne se dit pas
sans péché dans cette commisération, cet amour, cette patience, cette douceur,
cette patience à l'égard d'autrui. ‘‘Cette humilité d'esprit le rend capable
d'accomplir le précepte évangélique de la perfection, l'amour pour les
ennemis''.
C'est notre expérience fondamentale: les commandements
de l'évangile sont inapplicables. Le Christ nous demande de les appliquer et
c'est l'expérience de l'échec, de faiblesse dans l'application, l'impossibilité
d'être véritablement obéissant, qui nous mette en route jusqu'au jour où par la
prière, par notre propre transformation, notre conversion, le Christ lui-même
donne le pouvoir d'accomplir les commandements qu'il nous a donné.
Celui qui peut appliquer ce commandement ''aimer
vos ennemis'', là est le signe que le règne de la charité est arrivé en lui, et
dans l'église. Cette équité absolue, cet amour pour le pécheur et pour
le juste, est l'attitude de Dieu. Si elle se manifeste dans les hommes
c'est qu'ils sont déifiés.
Nous pouvons savoir où nous en sommes de la charité
par rapport à cette loi. Si tous les jours nous nous vérifions à la loi de cet
amour là, cela nous fait progresser. Qu'en est-il de l'amour par rapport aux
bons et aux mauvais, aux justes et injustes, aux amis et ennemis ? C'est
cela l'état de fils. Il y a cet amour du Christ, cette ''imitation d Christ''
qui consiste à ''faire le bien pour l'amour du bien lui-même''. De manière
absolument gratuite. On fait les choses pour rien parce que l'on aime.
On veut être dans l'activisme chrétien, changer les
autres, le monde... ce n'est pas l'amour. L'amour c'est ''être avec'', pour le
bonheur et le plaisir d'être avec, même si le ''être avec consiste à souffrir
avec''. Le Christ était avec ceux qui souffraient et avec ceux qui se
réjouissaient. C'est la joie du Christ.
La lumière du Christ est d'être avec les hommes. La
joie est dans le partage. Le partage fait la joie, même si ce qui est partagé
est douloureux. Une souffrance partagée devient joie: c'est la loi de la
charité. Seulement en Christ, nous pouvoir avoir accès à cette plénitude de
l'amour, cette plénitude de la charité. En dehors de cela, on peut arriver
à une grande purification de l'esprit, une grande légèreté du corps, on arrive
à s'élever au-dessus des anges. Mais le Christ est au-dessus des anges et de
Marie. Si nous voulons aller aussi loin que l'amour du Père, devenir des
sources secondes de l'amour du Père pour tous les hommes, il faut passer par le
Christ.
C'est cela le but de l'évangile: que
l'être humain devienne une source seconde de l'amour divin. Que l'homme
devienne porteur dans le monde de l'amour divin, de l'amour que Dieu a pour les
hommes. C'est cela qui nous attire, nous séduit, nous motive, et nous oblige à
nous pardonner les uns les autres.
Il ne faut pas perdre son temps à rester des heures à
regarder son propre péché et celui d'autrui, il faut se laisser entraîner
au-delà, par la pénitence, le pardon et la miséricorde, vers cet appel qui est
unique. La connaissance de la miséricorde divine par l'expérience de la
pénitence et du pardon.
Le signe de cela est cet amour, la prière pour les
autres et pour les ennemis en particulier: '' Père pardonne leur car ils
ne savent pas ce qu'ils font''. Cette prière est liée à l'acquisition de la
charité, à l'assimilation à Dieu même. La souffrance du Christ en croix est
de voir la folie des hommes qui rejette ceux qui pourraient les sauver, les
amener à la perfection. Le Christ souffre de voir l'humanité se faire mal à
elle-même. La prière des saints pour le monde est alimentée par cette
souffrance là. C'est une souffrance divine. Ils souffrent vraiment comme le
Christ a souffert, sans intérêt pour eux-mêmes; sans se soucier de leur propre
salut qui devient tout à fait secondaire et indifférent.
C'est le non-jugement quand on commence à porter les
fardeaux les uns les autres''. '' Cette charité qui ne s'irrite pas, ni ne s'enfle
pas, ni ne pense le mal, qui souffre tout, qui supporte tout...''. La seule
connaissance à Dieu que nous pouvons proposer dans le courant de l'orthodoxie,
c'est l'assimilation à Dieu. Cette assimilation à Dieu se fait dans
l'expérience de l'église, dans l'expérience liturgique, l'expérience
communautaire et l'expérience de la vie quotidienne, comme une pratique. Par
cette pratique, l'homme arrive le plus près de Dieu, en Dieu.
Le véritablement enseignement est de distribuer
ce que l'on a et non ce que l'on sait.
Déification par Saint Syméon le
Nouveau Théologien
« Si le Saint Esprit est en toi, tu comprendras
assurément d’après ses effets en toi ce que dit de Lui l’apôtre : Là où
est l’Esprit du Seigneur, là est la liberté, ou bien, Le corps est mort à cause
du péché mais l’esprit est vie à cause de la justice……Nous pouvons penser de
même à propos de ceux qui ont en eux l’Esprit Saint : ils ont un corps,
mais n’habite pas dans la chair…ils sont mort pour le monde et le monde pour
eux » (Centurie 3/43).
« Celui qui sait que ces signes et ces prodiges
se produisent en lui est un porteur de Dieu, un faiseur de miracles, car il a
Dieu, c'est-à-dire l’Esprit Saint Lui-même qui habite en lui, qui annonce et
produit en lui ce que disait Saint Paul. Mais celui qui n’a pas encore reconnu
tout cela en lui, qu’il ne se fasse pas d’illusion, il n’est encore que chair
et sang, obnubilé avec évidence par les ténèbres des convoitises de la chair.
Or la chair et le sang n’héritent pas le Royaume de Dieu, qui est le Saint
Esprit » (Centurie 3/44).
« Quelqu’un se tient à l’intérieur d’une maison,
toutes portes fermées ; s’il entrouvre une fenêtre et qu’un éclair,
soudain, brille autour de lui éblouissant, il ne peut supporter de ses yeux son
éclat ; il se protège aussitôt en fermant les paupières et se replie sur
lui-même. De même aussi, l’âme enfermée dans les sensations ; si jamais
par son intelligence elle se penche hors des sensations comme par une fenêtre,
elle est éblouie par l’éclair du gage qui est en elle, je veux dire du Saint
Esprit ; ne pouvant supporter l’éclat de cette lumière insoutenable, elle
est aussitôt foudroyée dans son intelligence » (Centurie 3/54).
Un des signes de cette perfection est donc cet
aveuglement dans la lumière divine : on replie, comme si on avait vu
quelque chose de trop fort. « S’il a reçu l’Esprit Saint, qu’il s’applique
à le garder. S’il n’a pas encore été jugé digne de Le recevoir, qu’il s’efforce
de l’obtenir par ses œuvres et actions, par une fervente pénitence, et à le
préserver par la pratique des commandements et l’acquisition des vertus »
(Centurie 3/55).
C’est la question de la préservation de ce don de la
grâce : « La grâce de Dieu est préservée grâce à l’observation des
commandements ; et la pratique des commandements est posée comme fondement
pour obtenir le don de Dieu ; car ni la grâce de Dieu ne peut se maintenir
en nous sans l’observation des commandements, ni l’observation des
commandements n’est d’aucun avantage ou utilité pour nous sans la grâce
de Dieu » (Centurie 3/56).
L’application
des commandements de Dieu permet l’acquisition de la grâce, et pour la
conserver il faut appliquer les commandements : acquérir et stabiliser la
grâce. L’accomplissement de cela est la déification. La conclusion est l’unité
de tous en Christ.
Une réalisation personnelle, apparemment individuelle,
dans la communauté de tous qui sont en Christ. Plus on est personnel, plus on
est « commun » : il y a une antinomie. On est dans le Christ
qui est commun, la vie en Christ est commune. Cela distingue la vie
hypostatique de la vie individuelle.
« Tous les fidèles doivent être considérés par
nous, fidèles, comme un seul être ; nous devons penser qu’en chacun
d’eux habite le Christ et ainsi par amour pour Lui nous devons être disposés de
telle sorte que nous soyons prêt à donner notre vie pour lui. Nous n’avons donc
absolument pas le droit de dire ou de penser de que quelqu’un qu’il est mauvais
mais il faut considérer tous les fidèles comme bons, ainsi que nous
l’avons dit. Même si tu vois quelqu’un tourmenté par les passions ne déteste
pas ton frère mais les passions qui lui font la guerre ; s’il est
tyrannisé par les désirs et les préjugés, plains-le encore plus de peur que toi
aussi tu ne sois mis à l’épreuve, exposé comme tu l’es aux variations de la
matière instable » (Centurie 3/3).
Il s’agit d’une vision dans le Corps de l’Eglise, de
la sainteté. On voit spirituellement la sainteté du Corps du
Christ dans chacun de ses membres, au-delà des passions. De même que l’on ne
voit pas les affiches du métro, on ne finit par ne plus voir ce qui n’est pas
le saint, à ne voir dans autrui que ce qui est saint, ce qui est le Christ,
cette humanité nouvelle, cette homme nouveau dans le Saint Esprit.
« Les ordres intelligibles des puissances
célestes reçoivent leur lumière de Dieu, ordre par ordre, du premier au second,
de celui-ci à un autre, et ainsi de suite jusqu’à ce que le rayonnement divin les
atteignent tous. Il en est de même pour les saints. Recevant leur lumière à
partir des anges de Dieu, reliés et réunis par le lien de l’Esprit, ils
deviennent des égaux et des émules des anges. En effet, c’est à partir des
saints qui les ont précédés que les saints, qui de génération en génération
viennent par la pratique des commandements de Dieu, se joindre à eux,
reçoivent comme eux, la lumière, recevant la grâce par participation. Ils
deviennent comme une chaîne d’or, chacun d’eux étant un chaînon relié au
précédent par la foi, les œuvres et la charité, jusqu’à former dans le Dieu
unique une chaîne qu’il n’est pas facile de rompre » (Centurie 3/4).
Il y a donc une vision évolutive de l’être humain, une
évolution en Dieu, par la grâce de l’Esprit saint, s’accomplissant dans le
terme de la déification. Cette évolution n’est pas individuelle, mais elle nous
fait entrer essentiellement dans la vie personnelle, la vie de
communion non seulement avec Dieu, mais avec tous : la vie de communion
des saints.
(Extrait des enseignements et cours du Père Marc Antoine Costa de Beauregard)