Dogme et théologie mystique

Le dogme, et non les dogmes, est la vérité connue intérieurement par l’église, de l’intérieur, et par ceux qui sont à l’intérieur, à ceux qui participent aux sacrements, aux mystères, à l’intérieur de la liturgie, à ce que l’on prêche à Pâques, à Noël, ce que l’évêque enseigne, des lettres pastorales, c’est cela le dogme. Une parole dite à ceux qui sont dans l’église et qui a pour but de les aider à nommer et à formuler ce qu’ils vivent dans les sacrements, la liturgie. Les enseignements correspondent à la catéchèse mystagogue.

L’évêque est un mystagogue au sens ou il conduit les croyants, dans les profondeurs des mystères du salut. Il s’agit d’approfondir ce que l’église dit de Dieu, ce que les apôtres disent, ce que le Christ dit au Père. La théologie mystique est donc l’approfondissent du mystère, du dogme chrétien, tel qu’il se révèle du Saint Evangile, de la révélation du Christ : c’est l’approfondissement de la Révélation.

Ce n’est plus cette élévation- contemplation. Au contraire, c’est partir de ce que Dieu nous donne, de Lui-même, de sa création, ce qu’il dit aux hommes. Ensuite, la théologie, c’est ce que les hommes disent de Dieu, ce qu’ils ont appris de Dieu. Nous disons sur Dieu des choses qu’il nous a dites. Ce ne sont pas des opinons humaines sur Dieu. La théologie, c’est aussi parler à Dieu. La théologie est une démarche liturgique. Toute théologie est une démarche liturgique et toute liturgie est théologique.

La liturgie est une parole qui vient de Dieu et qui est adressé à Dieu. La théologie est donc essentiellement l’approfondissement trinitaire et christologique. C’est l’étude de Dieu, de ce que Dieu nous dit en tant qu’il est Un et Trois à la fois. L’effort de langage est un effort pour arriver à louer la divine trinité le mieux possible et à glorifier Dieu justement. Cet effort de l’Orthodoxie n’est pas un effort de justesse rationnelle mais un effort de louange juste pour vénérer Dieu comme il le mérite, rendre à Dieu l’hommage qui lui est dû à travers le langage théologique.

Le Kérigme

Le kérygme est l’annonce faite à l’extérieur. A tous on doit dire : le Christ est ressuscité. Mais la vie trinitaire, la vie de l’Esprit Saint, il faut la doser à ceux qui sont de l’intérieur, les baptisés et encore selon les évolutions spirituelles, les forces. Dans les textes de Vatican 2, il est affirmé nettement que l’on peut avoir la connaissance rationnelle de l’essence divine. La théologie grecque  et syrienne est radicale dans le domaine de la connaissance, elle ne connaît Dieu que par la déification, connaissance par assimilation, en devenant Dieu. Il est impossible de le connaître autrement. L’ensemble de l’expression liturgique est expression indirecte de cette connaissance par union.

La liturgie orthodoxe à un caractère secret, au sens ou tout est exprimé par des symboles, les actions liturgiques sont du domaine de l’indicible. On exprime l’inexprimable, l’indicible, l’innommable.

La théologie mystique sait qu’elle ne peut pas parler directement de Dieu, elle sait qu’il faut laisser cette transmission au langage liturgique. Une partie importante des chrétiens a cru sincèrement élaborer une science de Dieu, depuis le XIII ° sicle, c’est que l’occident à cru élaborer. Mais ce n’est pas parce qu’on renonce à la science de Dieu, que l’on renonce à la connaissance. Celle-ci relève de l’union déifiante, par l’expérience mystique.

L’idéalisme qui a triomphé en Occident jusqu’à Kant, consiste à dire que ce qui est pensable existe, et inversement. Ceci a été repris par Hegel : tout ce qui est réel est rationnel, tout ce qui est rationnel est réel. Les pères grecs sont très grecs là-dessus, l’idée de Dieu n’est pas Dieu. Dans la discussion sur Dieu, on s’épuise et on arrive à ce moment, au silence, à l’adoration, et à la vénération.

C’est le fil d’or de l’orthodoxie qui est la glorification de Dieu et non science de Dieu : l’attitude de piété, de vénération, d’attitude religieuse, de respect, d’adoration amoureuse de Dieu. On arrive à cela quelque soit le chemin que l’on prend. Contrairement à ce que disait Auguste Comte, la connaissance religieuse est la connaissance supérieure. Pour A Comte, il y a d’abord le stade religieux, puis le stade philosophique (métaphysique), ou l’on commence à avoir des idées rationnelles, et au dessus de cela : la vraie connaissance de la science. Notre pays a vécu et vit encore avec cela.

En Europe de l’est : la philosophie marxiste remplace la connaissance religieuse et le marxisme introduit le paradis sur terre qui et l’ère scientifique.  Mais pour arriver à la connaissance religieuse, il fait se convertir.

Certain système théologique en occident ont réussi à se renfermer sur eux-mêmes, sur leurs affirmations et se protégés de l’apophatisme.

Mais il a fallu que vienne en occident une pensée comme Kant qui a dit : ce que vous dites, vous ne le dites pas de l’être en soi, c’est seulement une projection de votre pensée. La critique de la métaphysique par Kant est extraordinaire car c’est la porte à l’apophase. Kant a sauvé l’Europe Occidentale de l’enfermement scholastique.

Kant a fait cela à partir de la pensée luthérienne qui est très profonde et avait saisi dès le 16° siècle, l’illusion de ces définitions et de ces systématisations. Kant est la porte ouverte à la théologie orthodoxe. Il faut passer par cette angoisse terrible quand on a commencé par l’ordre des affirmations scholastiques et cartésiennes. Mais le jour où toutes les certitudes s’écroulent où l’on découvre que la raison humaine ne peut fonder la foi, c’est effrayant, comme le peintre à qui on enlève son escabeau. Pais si on passe ce seuil, on retrouve la pensée biblique.

La théologie, c’est la connaissance expérimentale du dogme à travers l’expérience de la Croix. La théologie n’est pas la spéculation sur le dogme; elle est connaissance expérimentale que Dieu sauve, que Dieu est attentif. Elle est connaissance ascétique, s’exercer dans la connaissance du mal, ce qui permet alors de connaître le Vrai Bien, la miséricorde de Dieu, le pardon de Dieu, la lumière divine.

Ce plan de connaissance qui est proposé à l’être humain au paradis, c’est à travers l’expérience de la Croix qui maintenant est le vrai arbre, qu’on l’acquiert. «L’homme ne peut goûter le bien, s’il n’a pas d’abord été éprouvé par l’expérience du mal ».

L’expérience qui est la souffrance est une expérience dans laquelle les sens spirituels sont aiguisés, c’est dans cette expérience là que l’homme connaît ce qu’est Dieu et n’est pas Dieu. Avec l’aide de la Bible, de l’enseignement de l’Eglise, on arrive à repérer cela, à travers un « Goût » et non à travers une réflexion.

La connaissance théologique n’est pas une affaire de démarche réflexive ou discursive, c’est essentiellement une approche expérimentale. Et de développement d’un certain goût de Dieu. Cette conception sensuelle de la connaissance débouche sur le thème de : Sagesse. La Sagesse signifie un goût. Le mot sagesse rejoint cette intuition biblique suivant laquelle Dieu est bon à manger, à boire comme ce fruit paradisiaque. Le type même de connaissance est présent au Paradis comme quelque chose qui relève du goût. C’est un fruit bon à manger et à voir. Cette connaissance s’oppose à l’ignorance.

C’est dans le cadre de cette souffrance consentie et bénie, qu’on peut le faire. C’est cela que l’on a à connaître : faiblesse de la nature humaine et puissance du secours divin. Cette connaissance est aussi une contemplation de Dieu. Il s’agit de la vision de Dieu, connaissance promise à ceux qui accepte cette épreuve de la Croix. «Regard de Dieu sans voile », « il révèle sa grâce ». A travers les épreuves, soit la connaissance est un goût, soit elle est conscience, soit elle est vision de Dieu, révélation de Dieu. Dieu se révèle au cœur de ceux qui accepte de le rencontrer à travers le mystère de la Croix.

C’est dans la souffrance acceptée, avec obéissance spirituelle que l’on découvre : la liberté, la force, l’amour, on acquiert l’énergie divine, l’humilité, la familiarité avec Dieu, la persévérance et la prière, la foi sûre, la confiance et la rigueur spirituelle.

Le cœur est donc un lieu de sensations spirituelles et c’est dans le cœur que viennent naître, germer, que sont inséminées les vertus divines. Il y a toute une vie charismatique qui naît dans le cœur, à partit du moment qu’il accepte de vivre les épreuves que Dieu permet comme des chemins ; nous recevons la plénitude de l’Esprit Saint et la plénitude de la grâce. 

Père Marc Antoine Costa de Beauregard

Propos extraits des cours théologiques dispensés par le Père Marc Antoine Costa de Beauregard - Institut théologique orthodoxe saint Denis - Paris (avant année 1990)

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