Le dogme (Patriarche Athénagoras)

Dogme chrétien

« Ce que je déteste dans la théologie c’est l’orgueil de la bonne conscience, qui fait du dogme une arme pour frapper sur la tête des autres. Un millénaire de guerres de religion ont fait l’athéisme moderne. Le théologien c’est celui qui est sur la défensive, noué de peur, qui veut avoir raison et que l’autre ait tort.

Des hérésies je n’en vois nulle part, seulement des vérités partielles, amoindries, mal situées, ou qui prétendent saisir le mystère inépuisable.

La théologie, il faut la vivre. C'est-à-dire en parler comme le fait l’écriture, comme le font les pères. La vraie théologie c’est le Christ. Nous la trouvons dans la rencontre du Christ et dans la contemplation du mystère.  La voilà la véritable théologie, c’est la prédication d’un christ crucifié et ressuscité.

Les philosophes russes des XIX et XX° siècle ont dénoncé dans le rationalisme théologique la principale source du nihilisme occidental. De siècle en siècle, la théologie est renouvelée par des « hommes apostoliques qui vivent jusqu’au bout l’expérience de l’église et voient le christ ressuscité comme Paul sur le chemin de Damas, ou Saint Jean à Patmos. Ainsi un Saint Séraphin de Sarov, un saint Nectaire d’Égine, ou le starets Sylvain de l’Athos, à notre époque.

Les docteurs de l’église se contentent de mettre en forme cette expérience. Saint jean, l’apôtre bien aimé, Grégoire de Nazianze et saint Syméon le théologien sont vénérés comme théologien de l’église. Ils ne se spéculent pas, ils vivent le mystère, puis laisse chanter leur intelligence. Ils sont ivres d’Esprit. Voilà la vraie théologie, connaître et aimer sont inséparables. Connaître, à la limite, c’est contempler en silence, dans l’Esprit saint, à travers le visage transparent du Christ, les profondeurs de Dieu, ce que les pères nomment : « la théologia ».

L’intelligence théologique ne peut être qu’une théologie eucharistique. « Celui seul est théologien qui a trouvé la prière pure » qui est devenu tout entier prière. L’esprit de la théologie orthodoxe n’est pas philosophique ; mais « philocalique » épris de beauté du nouveau ciel et de la nouvelle terre qui viennent à nous dans l’Esprit Saint, au moment de la célébration liturgique, et se manifestent sur les visages de la Toute Sainte et les saints.

Pourquoi ne devenons-nous pas tous sages en recevant la gnose de Dieu qui est Jésus Christ ? Parce que nous avons voulu faire de la théologie une science exactement comme nous avons fait de l’église une machine. Alors que la véritable théologie exige une transformation de tout l’être, et part de la « métanoia » pour s’accomplir dans l’amour.

Les pères n’ont cessés de le dire « une théologie sans action est une théologie des démons »  et l’action signifie le repentir, la prière et l’amour actif. Parler de Dieu est une grande chose mais il est encore mieux de se purifier pour Dieu. Le but étant « la sensation de Dieu » non la spéculation, mais la connaissance intégrale ou l’homme tout entier s’unifie et vibre.


Saint thomas d’Aquin ne séparait pas la théologie d’une profonde vie chrétienne…. On n’oublie trop souvent sa dimension mystique et cette rumination si traditionnelle de l’écriture. N’empêche qu’il y a chez lui, peut-être parce qu’il n’avait plus l’antidote oriental, la tentation d’organiser la théologie en science.

Et les thomistes ont cédé à cette tentation. L’Unité de la vie liturgique, de la vie mystique, et de la pensée s’est défaite. La théologie est devenue alors l’expression chrétienne de la métaphysique occidentale qui, depuis Platon, opposait le sensible et l’intelligible pour établir une parenté entre intelligible et divin.

Or le véritable mystère dépasse aussi bien l’intelligible que le sensible et transfigure autant l’un que l’autre, le corps autant que l’âme.

Le renouveau du palamisme à notre époque est un signe extrêmement positif. Le palamisme exprime bien le réalisme de la vie chrétienne, la transformation réelle de l’homme tout entier dans la lumière de l’Esprit.

De l’homme tout entier et à travers lui, de l’histoire et de l’univers, car l’homme en communion n’est plus séparé de rien.

Il y a chez Palamas un admirable équilibre entre le sens de la personne et celui du cosmos. A travers la personne, toute la chair de la terre est appelée à devenir la « chair de Dieu ».

La véritable théologie ne s’oppose pas à l’amour : elle l’exprime.

Que sont les dogmes, sinon les symboles d’une expérience de l’amour.  Au fond il n’y a qu’un seul dogme dans le christianisme, tous les autres ne font que le développer, et c’est encore une fois le christ lui-même : « Dieu qui se fait Homme pour que l’Homme puisse recevoir dans l’église l’Esprit de vie ».

Si l’église a dogmatisé, c’est parce qu’il fallait éviter que l’accès au mystère ne fût compromis par des explications rationnelles, unilatérales ou réductrices. Encore a-t-elle eu soin de crucifier l’entendement humain par la négation et l’antinomie. Le dogme protège le mystère, mais son vrai sens est d’être un émerveillement devant l’amour. Le dogme de Chalcédoine, c’est l’émerveillement que Dieu ait tant aimé le monde qu’il a donné, pour le sauver, son Fils unique…

Hélas beaucoup de théologiens protestants et maintenant catholiques, estiment que les dogmes des sept conciles oecuméniques n’ont plus de sens pour l’homme d’aujourd’hui. Mais si les dogmes de conciles restent toujours vivants et actuels dans l’expérience de l’église, ce n’est pas une raison pour les répéter comme une formule morte.

Nous devons retrouver leur mouvement profond, leur langage d’émerveillement et de louange, pour l’exprimer dans le langage de notre temps.

La Tradition, c’est l’Esprit qui repose sur le Corps du Christ pour actualiser le mystère de la résurrection.

(Propos du Patriarche Athénagoras - 1969)

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