Eglise chrétienne orthodoxe par Michel Stavrou
Eglise orthodoxe et sa vocation
La mondialisation crée
à l’échelle mondiale une méga-société en réseau, à l’image des sociétés
d’informatique où chaque analyste programmeur est relié à son équipe de travail
par l’intermédiaire de son ordinateur : plus q’une image, il s’agit du
paradigme même de la société mondialisée où nous entrons.
Dans ce contexte mondialisé,
se pose à nouveau la question du sens ultime de notre existence et de celle du
monde. Dans l’époque actuelle de post-modernité, s’impose le rejet de tous les
systèmes de valeurs et idéologies qui par le passé voulaient s’imposer au
monde. Avec le constat d’un certain abandon des religions traditionnelles, que
l’on prétend rétrogrades et dogmatiques ; on note aussi une certaine
défection dans la foi naïve dans le
modernisme, qui allait d’ailleurs
souvent de pair avec un scientisme humaniste et un laïcisme sectaire.
Au sein de notre société, il
existe pourtant une vraie faim spirituelle, notamment chez les moins de 30 ans.
Le religieux retrouve parfois une place, mais de manière ambiguë et
contestable ; la pratique des religions traditionnelle s’effondre.
Face à la situation de
reconfiguration radicale du monde et aux crises de mutation qui l’accompagnent,
nous devons, pour aborder les défis du temps présent, tenter tout d’abord de
revenir à des questions simples : que signifie pour nous l’église ? Quel
est son être profond et quelle est sa vocation ?
Nous plaçons notre foi en
l’église. Celle-ci apparaît non comme une entreprise humaine mais comme un don
de Dieu reçu de façon communautaire par l’assemblée de ceux qui ont été
appelées par lui.
Et comment l’église nous
offre t-elle cette vie en Dieu ?
L’église nous offre
cette vie en Dieu, à travers le rassemblement eucharistique, qui commence, par
la lecture de la parole de Dieu, et s’achève dans la communion aux saints dons
du pain et du vin, changés en Corps et Sang du Christ par l’Esprit Saint, à la
demandé de la communauté.
L’eucharistie est toujours
célébrée au nom de l’évêque du lieu, afin de certifier et signifier la
communion entre la communauté d’un lieu et toutes les autres églises situées
aussi bien dans l’espace (conciliarité) que dans le temps (apostolicité).
Ainsi se trouve respecter la
catholicité de l’église, le fait que l’unité et la diversité se conjuguent en
un lieu donné, dans la plénitude de vie reçue d’en haut.
L’église
peut donc être concrètement définie comme une communauté qui se rassemble pour
célébrer l’eucharistie, avec tout ce que cela présuppose et
tout ce qui en découle….
Cela signifie deux
choses :
1/ en puisant son être dans
son état futur, l’église goûte réellement déjà aux prémices du Royaume. Le
rassemblement eucharistique, est une image de la convocation des nations lors
du jugement dernier. A la lumière des derniers jours (eschata), l’église, dans son
être véritable, est le peuple de Dieu rassemblé de toutes les nations, de
toutes les conditions humaines, de tous les temps.
2/ En tant qu’icône, du
Royaume de Dieu, l’église ne s’identifie pas avec son prototype ; elle se
distingue du Royaume qui représente l’avenir : nous ne sommes pas encore
du ciel ; l’église est donc en marche vers le royaume, portant ce trésor
qu’est la réalité du Royaume comme « des vases d’argile » (2, Cor
4,7).
Vocation
de l’église
L’église est divino-humaine.
Elle n’est pas simplement divine. Dieu a besoin des hommes. Nous ne vivons que
par Dieu, et pour Notre Dieu, et pour que tout homme devienne lui-même et
s’accomplisse en Dieu. L’église n’est pas seulement la convocation du peuple de
Dieu, et elle est aussi sa dispersion dans le monde pour ecclésialiser
celui-ci. La fin de la liturgie le révèle clairement : ‘’sortons en paix,
au nom du Seigneur’’. C’est donc que sortir aussi n’est pas un acte
post-liturgique, mais fait partie intégrante de la liturgie eucharistique,
appelée à se prolonger en nourrissant chaque instant de notre vie.
Comme
le souligne Saint Grégoire de Nysse, le Christ n’est pas accompli au plan
humain tant que tous les hommes ne sont pas incorporés en lui. Non seulement, l’Esprit Saint a formé le
Christ lors de l’incarnation, mais agissant toujours sur l’histoire, il fait
croître encore son Corps et le rassemble en tant qu’église. L’église, Corps du
christ est donc une dynamique en cours de réalisation jusqu’au dernier jour.
A cette approche
correspondent les images bibliques de l’église Peuple de Dieu en marche vers le
Royaume, de l’église « cité sainte » qui s’édifie sur la pierre
d’angle qu’est le christ et qui s’organise en vue de l’avènement du Royaume de
Dieu (Eph 2,22 ; 1 Cor 3,16), de même que l’église épouse du Christ, qui
se prépare au face à face, à l’union nuptiale avec son époux céleste.
Ecclésialiser
la vie
L’église
est appelée à être le bon levain dans la pâte du monde pour faire advenir le
règne de Dieu sur terre. Eglise et monde sont des réalités coextensives.
De même que le Christ s’est
offert en oblation, l’église qui est son Corps existe non pas pour elle-même,
mais pour le monde que Dieu à crée par pure bonté, et qu’il destine à une
communion plénière avec lui, au banquet des derniers jours qui est le terme de
l’histoire.
Ecclésialiser
la vie, mot
d’ordre des fondateurs de l’ACER, pour souligner qu’aucun aspect de la
vie ne doit échapper à la christification qui découle de notre
participation commune
au banquet eucharistique.
En même temps, le processus
d’écclésialisation de nos cœurs, et du monde que nous portons, ne va nullement
de soi ; s’il est mené par l’Esprit Saint, il demande aussi notre part de
collaboration active dans l’ascèse patience et la prière face aux résistances
inévitables du monde déchu auquel nous avons encore part nous aussi.
L’ascèse
représente ce travail intérieur sur nous-mêmes pour nous
libérer de l’emprise fascinante qu’exercent sur nous les personnes et les
êtres, afin qu’ils deviennent non plus des idoles mais des « théophanies.
L’église
tire son être du Royaume à venir « qui n’est pas de ce
monde » (Jn 18,36), elle se heurte donc nécessairement au monde, et
représente pour lui un corps inassimilable qui ne saurait coïncider avec aucune
institution humaine. Nous sommes des pèlerins de passage ici-bas, dans le
monde, mais non pas du monde.
L’inculturation
est une des exigences de l’incarnation.
La culture qui représente
en somme la manière dont un groupe humain perçoit, exprime et vit finalement la
réalité, se voit ainsi transformée et jusqu’à un certain point évangélisé.
L’inculturation est une exigence du dogme même de l’incarnation :
« le Verbe s’est fait chair et il a habité parmi nous ». C’est le
modèle de toute inculturation.
Le fait que Dieu soit entré dans un peuple
particulier, ne doit pas laisser croire que Dieu aurait sanctifié une culture
spécifique, la culture juive en l’occurrence, par laquelle il faudrait donc
passer pour être sauvé. Dans la constitution de l’église, la place de l’Esprit
Saint est essentielle : c’est le Saint Esprit qui lui permet d’être
eschatologique (orientée vers l’accomplissement de l’histoire), et par
conséquent, d’être inclusive, ouverte à toutes les cultures comme en témoigne
l’évènement de la multiplication des langues à Pentecôte.
Il n’y a pas de doute que
lorsque l’inculturation est réussie, elle correspond à l’attitude la plus
féconde pour la mission ecclésiale.
Le discernement que l’église
doit apporter dans ce processus est capital. Il consiste à s’assurer, par la
référence aux repères fondamentaux de
Un
nécessaire renouveau de la conscience théologique
A la lumière des crises
récentes et des tensions qui existent encore souvent entre des églises sœurs,
on constate que les structures ecclésiologiques actuelles sont davantage
justifiées par des situations sociopolitiques héritées du passé, que par des
décisions conciliaires reflétant une théologie. Or cet immobilisme est en décalage complet avec le monde à évangéliser.
L’orthodoxie mondiale, ressemble
aujourd’hui à une confédération d’églises qui n’ont guère entre elles que
d’autre lien que celui de la foi et des sacrements.
On est bien forcé de
constater, que malgré le concert unanime de louanges qui saluent le retour à
une ecclésiologie centrée sur l’eucharistie et malgré un renouveau indéniable
dans plusieurs églises autocéphales comme le patriarcat d’Antioche, cette
ecclésiologie n’est généralement pas reçue ni appliquée. On observe des dichotomies
affligeantes qui opposent dogme et vie spirituelle, ecclésiologie et droit
canon, ou encore théologie et histoire. Tout cela conduit à une
disqualification de la théologie par rapport à la vie, y compris à la vie de
l’église.
Le métropolite Jean de
Pergame note lui-même en ce sens : « les évêques sont devenus
des administrateurs et c’est presque une disqualification pour eux s’il leur
arrive d’être théologiens. Tout cela conduit à une marginalisation de la
théologie par rapport à la vie, y compris à la vie de l’église ».
Un autre souhait serait
d’éviter de faire de notre théologie une arme contre les traditions hétérodoxes
avec l’orgueil des bien pensants. Il ne s’agit pas de relativiser le dogme,
mais de le ramener à sa source vive plutôt que de le réduire à l’instrument
d’une logomachie stérile.
Or la vraie théologie, nous
la trouvons dans la rencontre avec le Christ et dans la contemplation de son
mystère. Notre travail théologique s’inscrit dans le fleuve d’expérience de la
communion des saints et ne peut se limiter à édifier les blindages théologiques
d’un ghetto confessionnel.
Si nous confessons la foi
orthodoxe, nous devons être plus attentif à l’incarner en vérité qu’à déceler
la paille dans l’œil des frères séparés…Aussi l’orthodoxie que nous vivons doit
être à la hauteur de celle que nous proclamons.
Le
renouveau liturgique
La
liturgie n’est pas une évasion hors du monde mais une transformation
continuelle de notre vie, en tant que membre du Corps du Christ. Sa
célébration doit être ordonnée à son essence profonde.
Or il nous faut admettre,
que bien des fois, l’eucharistie n’est plus perçue comme une icône du
rassemblement du peuple de Dieu des derniers jours, autour du Seigneur qui
vient, mais comme une chose sacrée qui comble une piété individuelle, comme un
moment d’évasion ou le fidèle se réfugie en Dieu.
La signification des gestes,
des signes, des paroles des offices, souvent même de la langue, pose des
problèmes. Beaucoup de fidèles et de pasteurs confondent Tradition et pétrification,
considèrent la liturgie comme un bloc intangible, alors qu’une actualisation
avisée dans le monde de célébration serait la bienvenue comme il s’en est fait
à toutes les époques. La vie liturgique devrait s’accompagner en tout cas d’un
effort de catéchèse qui insiste sur la signification théologique des offices.
La réponse aux défis lancés
à l’église par le monde actuel ne peut venir fondamentalement que des
communautés eucharistiques elles-mêmes où l’église se manifeste en plénitude.
Dans la culture ambiante anthropocentrique et individualiste, seule une
affirmation de l’évangile, vécu sans compromis, peut offrir une réponse aux
attentes presque inconscientes qui habitent les cœurs de nos contemporains.
La
mission devrait avoir pour point de départ des espaces
communautaires socialement bien implantés, soudés et visibles, élaborant une
culture chrétienne ouverte, nourrie de l’évangile, de la liturgie et de
Vivre d’abord la catholicité dans les paroisses
Le
témoignage premier de la paroisse, comme communauté
eucharistique, est d’être un signe, un sacrement de la vie divine reçue du
Christ ressuscité, avant même que soit envisagé quelque qu’action dans le
monde. Nos paroisses doivent donc demeurer des lieux ouverts et accueillants.
C’est d’abord dans la paroisse que peut se vivre la catholicité dans
l’unification de tous en Christ à la table eucharistique, si bien que la
catholicité peut aussi rayonner dans le monde. « Seule la vie de la
paroisse, note Christos Yannaras, peut fournir une dimension sacerdotale à la
politique, un esprit prophétique à la science, une attitude philanthropique à
l’économie, un caractère sacramentel à l’amour ».
Les monastères comme lieu de
ressourcement et de témoignage ont un grand rôle à jouer.
Les moines sont appelé à
témoigner de la venue du Royaume de Dieu, en vivant dans un repentir continuel
la réalité du vieil homme déchu qui gît en nous, mais en vivant aussi dans
l’humilité et la joie la réalité nouvelle du salut en Christ. Par leur
dépouillement et leur disponibilité à Dieu et au prochain, les moines portent
un témoignage évangélique tant à l’intérieur qu’à l’extérieur de l’église que
dans la société où ils doivent apparaître comme des énigmes. Ils sont les
témoins de l’amour de Dieu et de la gratuité de la foi, dans un monde obsédé
par l’utilitarisme et l’activisme.
Les groupes de rencontres,
comme l’ACER-MJO, ont un précieux rôle à jouer en aidant les fidèles à prendre
conscience du fait que l’église est catholique, conciliaire parce
qu’eucharistique. Cela aide chacun à sortir de son esprit de clocher, de la
routine, du phylétisme et à discerner sa vocation particulière dans l’église et
la société.
Une
présence prophétique dans la société
Comme le souligne Olivier
Clément : « les chrétiens peuvent, avec une humble force,
susciter un certain sens, un certain feu, une certaine lumière. S’ils ne le
font pas, s’ils ne savent pas trouver leur place dans la société sécularisée,
ce sera laisser la place aux pseudo-religions » ;et puisant son énergie dans
le foyer eucharistique, source première de la mission.
Ni le communautarisme, ni le
piétisme individualiste ne saurait approprier pour une telle mission. Seule
des personnes en communion peuvent
rayonner, et leur témoignage prendra une forme prophétique par une parole ou
une œuvre d’éveil qui « fasse la vérité », ou par des actions concrètes
qui mettent l’évangile en actes.
Chaque chrétien, au terme de
la liturgie eucharistique, est appelé à rayonner
D’abord
témoigner la joie et la confiance en l’avenir, puisque le Christ est
ressuscité, ensuite montrer un intérêt réel pour tous ceux et toutes celles qui
nous environnent.
Il
s’agit d’un effort continuel pour aider les personnes humaines à se libérer des
situations d’injustice, de servitude, d’angoisse, et de solitude, en suscitant
la communion des personnes.
A travers l’église, c’est le monde entier lui-même que Dieu renouvelle.
Dès lors, le défi qui est
lancé à l’église, en ce début de 3° millénaire où nous voyons le monde engagé
dans une mutation irréversible, nous concerne tous, à al fois collectivement et
personnellement.
Chacun d’entre nous, en tant
que baptisé membre du peuple de Dieu,
est appelé à œuvrer pour rendre présente l’église dans son cœur, dans sa
famille, à son travail, dans sa vie entière ; et à partir de sa communauté
eucharistique ou il puise la vie en christ ; ainsi l’église sera-t-elle
plus manifesté dans le monde.
La référence au passé, aux
racines nationales, aux atavismes familiaux, qui nous est si chère dans
l’orthodoxie, n’a finalement qu’une importance relative ; elle n’a de prix
que si nous savons en faire l’offrande à Dieu, car c’est cela même faire
« eucharistie » ; alors tout apparaîtra transfiguré, beaucoup de
scories se détachent, et il ne reste plus que la saveur de l’évangile dans la
souffle vivant de
(Propos de Michel Stavrou)