L'Eglise véritable

La véritable Eglise garde toujours intacte l’enseignement du Christ; mais ceux qui se considèrent comme membres de l’Eglise et même qui parlent en son nom, ne comprennent pas tous pour autant cet enseignement, car les portes de son amour son largement ouvertes à chaque être humain indépendamment de son niveau spirituel, pourvu qu’il confesse la foi et son intention d’être sauvé.

C’est pourquoi dans sa réalité empirique, l’Eglise est toujours un mélange de vérité, manifestée par la sainteté, et de non-vérité, introduite par les péchés des plus faibles de ses membres, parmi lesquels on peut rencontrer même certains représentants de la sainte hiérarchie.

C’est justement dans ces cas que le critère de vérité indiqué par Saint Silouane, à savoir l’« amour des ennemis » est précieux, car il permet de déceler infailliblement la présence d’une volonté étrangère à Dieu « qui veut que tous les hommes soient sauvés » (1 Tim 2,1-6).

Ce commandement du Christ « Aimez vos ennemis » est le reflet dans le monde du parfait amour du Dieu Trinité et constitue la pierre angulaire de tout notre enseignement. C’est l’ultime synthèse de toute notre théologie.

Cette parole « Aimez vos ennemis » est ce feu que le Seigneur est venu apporter sur la terre (Lc 12,49), c’est cette Lumière divine Incréée qui apparut aux apôtres sur le Mont Thabor, ce sont ces langues de feu dans lesquelles le Saint Esprit descendit sur les apôtres réunis dans la chambre de Sion ; c’est le Royaume de Dieu en nous, « venu en force » (Mc 9,1) ; c’est l’accomplissement de l’être humain et la perfection de la ressemblance à Dieu (Matt 5,44-48).

Quelque sage, instruit et noble que soit un homme, s’il n’aime pas ses ennemis, c’’est à dire tout humain, il n’a pas encore atteint Dieu.

Et par contre, quelque simple, pauvre et ignorant que soit un homme, s’il porte dans son cœur cet amour, « il demeure en Dieu et Dieu demeure en lui ».

Aimer d’un amour compatissant ses ennemis en dehors du seul vrai Dieu, affirmait le starets, est impossible. Le porteur d’un tel amour communie à la vie éternelle, et en a dans son âme un témoignage indubitable.

Il est l’habitacle du Saint Esprit et dans le Saint Esprit il connaît le Père et le Fils. Il les connaît d’une manière authentique et vivifiante. Dans le Saint Esprit, il est le frère et l’ami du Christ, il est le fils de Dieu et dieu par grâce.

Sous quelques aspects que nous envisageons la vie chrétienne, elle se présentera toujours à nous comme contraire à la marche ordinaire de la vie humaine et à son échelle de valeurs. Dans son cœur, un chrétien s’humilie jusqu’au dernier degré, s’abaisse dans sa conscience « plus bas que toute créature » ; et par cette humilité, il s’élève vers Dieu et se trouve au-dessus de toute créature.

Un chrétien quitte le monde ; dans « l’égoïste »  souci de son salut, il délaisse tout comme n’étant pas nécessaire ; il « hait » son père et sa mère, et ses enfants s’il en a ; il rompt tout lien charnel et psychologique ; dans son élan vers Dieu, il « hait » le monde et se retire complètement dans les profondeurs de son cœur. Et quand il y pénètre réellement pour y livrer bataille à Satan, pour purifier son cœur de toute passion pécheresse, alors, dans la profondeur de ce même cœur, il rencontre Dieu ; et en Dieu il commence à se voir indissociablement lié à toute l’existence cosmique, et alors plus rien ne lui est étranger, extérieur.

Ayant au commencement rompu avec le monde, il le retrouve en lui par le Christ, mais dès lors, d’une toute autre manière, et se trouve lié à lui par « une union d’amour » pour toute l’éternité. Alors par sa prière, il intègre à sa propre vie éternelle tous les hommes, quelle que soit la distance du lieu où ils vivent où l’éloignement de l’époque à laquelle ils ont vécu. Alors il découvre que son cœur n’est pas seulement un organe physique ou le siège de la vie psychique, mais quelque chose qui ne se laisse pas définir et qui est capable de toucher Dieu.

Dans son cœur profond, le chrétien vit, d’une certaine manière, toute l’histoire humaine comme la sienne propre ; il ne se voit pas seulement lui-même, mais encore toute l’humanité et nul homme n’est pour lui étranger, mais il aime chacun d’eux, comme le Christ l’a commandé.

Pour demeurer dans l’amour de Dieu, il est indispensable que la colère et la haine atteignent leur ultime intensité, mais qu’elles soient dirigées contre péché qui vit en moi, contre le mal qui agit en moi et non dans mon frère.

Toute la force de la résistance au mal cosmique se concentre dans le cœur profond du chrétien, alors qu’extérieurement, selon le commandement du Christ, « il ne résiste pas au mal » (Matt 5,39)

Le chrétien est un être complètement sans défense ; il est sous le coup de tous et de chacun ; le chrétien est l’esclave de tous et comme il est le rebut de tous (1 Cor 4,13) ; et en même temps, lui, en lui seul, il est libre et inviolable, dans le sens le plus profond et le plus parfait du terme.

En commençant par le renoncement, le rejet et la haine selon la parole du christ, le chrétien finit par désirer donner sa vie pour le Christ et « pour ses amis et pour ses ennemis ».

En rejetant tout, en rompant avec tout, en haïssant tout, le Chrétien reçoit de Dieu le don de l’amour spirituel éternel pour tout et pour tous.

Ainsi en comparaison de la vie ordinaire, la vie chrétienne paraît en toutes choses comme contradictoire et paradoxale.

(Paroles de Saint Silouane - par Archimandrite Sophrony)

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