Foi de Dieu et expérience de Dieu (par Métropolite Antoine de Souroge)

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Foi et expérience de Dieu par Métropolite Antoine de Souroge :

Le monde actuel, la vie actuelle, met en question très durement la foi ; seule la foi authentique, la foi véritable parviendra, je crois, à résister à l'épreuve, mais tous les succédanés de la foi, toutes les approximations faciles de la foi, se trouveront broyés et détruits, et nous devons en rendre grâce à Dieu. Dans les sociétés chrétiennes, c'est-à-dire, dans les sociétés où les chrétiens sont encore en majorité, et où il y a une majorité d'incroyants qui relève encore de la chrétienté d'autrefois, le problème semble facilement confondu avec le problème de l'indifférence et celui de la crédulité.

 
Dans les sociétés où l'athéisme domine, et surtout dans les sociétés où l'athéisme est violent, agressif, le problème de la foi se décante, parce qu'il est un engagement personnel et qu'il commence, à un moment déterminé, par un événement qui est une conversion, une découverte. L'un des problèmes du monde occidental est que l'on naît dans une société neutre ou dans une société encore chrétienne; ce qui fait les données intellectuelles et émotionnelles de la foi, nous est présenté dès le début : à un moment où nous sommes capables de tout recevoir et à un moment où nous sommes encore incapables d'appliquer notre esprit critique, de le mettre en doute, de mettre en question, de faire un choix. Le résultat est que la foi tient lorsqu'elle est un acte de simple confiance : dans l'enfance, ou chez les personnes qui intellectuellement ne sont pas poussées de mettre en question quoi que ce soit. Dans l'enfance, cet acte de confiance porte sur Dieu au travers des parents ou des éducateurs ou le milieu ; c'est un acte de simple confiance qui fait qu'on devient héritier des possesseurs d'un patrimoine commun. Mais plus tard, l'éducation que nous donnons aux jeunes, aux enfants, n'est en rien comparable à celle qu'ils reçoivent sur le plan scientifique par exemple ou sur le plan des humanités.

Et il arrive toujours un moment, où à l'intérieur d'une personne humaine, s'affronte un enfant avec sa foi à un adulte avec son expérience et son éducation séculière. Un dialogue s'engage, un dialogue qui est souvent un duel entre l'adulte qui n'a pas les données de la foi et l'enfant qui n'a pas les données de l'intelligence. Quelquefois, l'adulte réduit à néant la capacité de croire que possède l'enfant qui vit en lui, avec lui; quelquefois, c'est l'enfant qui parvient à insister et à obtenir le droit d'exister. Alors, une division se produit à l'intérieur de la personne ; il y a un enfant, un cœur pur qui vit côte à côte avec un adulte à l'intelligence raffinée, et ce n'est que successivement que cette personne peut être un croyant ou un adulte. A des moments différents, l'enfant prime, l'adulte remplit ses fonctions sociales dans une profession, ou dans la société en général. Et en fin de compte, sur le plan intellectuel, dans la mesure où tout de même l'adulte participe à la vie de l'enfant, la foi est remplacée par la crédulité, la capacité d'accepter avec une certaine indifférence, avec une certaine naïveté, des données qui ne portent que sur une vie d'émotion, une vie de cœur, alors que toute la grandeur de l'intelligence se trouve séparée de cette vie.

Ce n'est pas cela que nous trouvons dans les Ecritures, ce n'est pas la foi dont parle l'Epître aux Hébreux, ce n'est pas la foi telle qu'elle se présente dans l'expérience chrétienne des premiers siècles ou bien dans l'expérience des chrétiens qui maintenant, dans un contexte d'athéisme agressif, militant, découvrent leur Dieu. Je crois qu'il faut essayer de définir exactement où commence la foi. Il y a dans les œuvres de Saint Macaire d'Egypte un passage où il indique très clairement, dans une de ses homélies, l'expérience soudaine, fulgurante, de la rencontre avec Dieu. Il dit qu'à ce moment-là, face à face avec le Dieu vivant, emportée comme un tourbillon par une expérience que l'on ne peut ni maîtriser, ni contrôler, ni même observer alors qu'elle est en cours, la personne devient simplement expérience. Il y a un silence intellectuel, parce que l'analyse est impossible, il y a un silence de toutes les puissances de l'âme, parce que tout ce que l'âme peut faire, c'est d'être remplie de l'événement, quitte à le réexaminer plus tard, à la façon dont une personne qui se noie n'a pas le temps de faire des analyses psychologiques sur son état, ou bien d'observer les vagues ou d'apprécier la chaleur de la mer. C'est après qu'on peut faire un retour sur soi, se poser des questions.

Cet état que Théophane le Reclus appelle une « captivité bienheureuse », un état où toutes les activités sont suspendues, parce que tout est devenu silence intérieur orienté à écouter et à voir, cet état suffirait à celui qui en est l'objet ; mais comme dit Saint Macaire, Dieu n'a pas souci uniquement de celui qui est capable de percevoir, il a souci aussi de ceux qui sont encore incapables de cette expérience. Et Il se retire, à la façon dont la mer se retire à marée basse, et laisse celui qui était tout entier dans l'expérience, et le laisse sur la grève. Il y a un moment où l'expérience est encore tout entière en vous et où vous redevenez conscient de vous-mêmes : c'est cet instant-là, dit St Macaire, qui est le début de la situation de foi. La certitude est entière, elle s'impose avec une clarté telle qu'aucun doute ne s'y introduit.

Mais ce qui était l'expérience vécue, est maintenant devenu l'invisible. La foi nous apparaît alors comme une certitude qui porte sur ce qui a cessé d'être l'expérience immédiate, qui porte sur l'expérience vécue dont nous avons émergé, ou dont nous venons d'émerger. Mais au cœur de la foi, telle que Saint Macaire nous la définit, il y a une expérience ; nous avons tendance à souligner le mot « invisible » et à minimiser le mot « certitude », tandis qu'en réalité l'accent doit porter sur la certitude. Ce n'est pas le fait que quelque chose est invisible qui en fait un objet de foi, c'est la certitude d'expérience qui s'attache à cet invisible qui fait que c'est un objet de foi et non pas un objet de crédulité.

Eh bien, cela n'est que si nous avons une foi qui est fondée sur une expérience soudaine ou progressive. Seulement lorsqu'une expérience est aussi fulgurante que celle du chemin de Damas, ou bien lorsqu'elle est née ou développée de façon imperceptible à l'intérieur de notre âme, que nous avons le droit de dire que notre foi appartient à l'ordre de l'expérience des Ecritures. Autrement, ce que nous pouvons dire, c'est que nous faisons confiance à d'autres qui ont connu, qui ont découvert, qui ont ressenti ce dont nous ne savons encore rien et que, momentanément, comme nous n'avons aucune raison de nier leur expérience, nous en acceptons la validité — mais la foi leur appartient, nous, nous n'en avons que l'usufruit. Eux, ils la possèdent, ou plutôt, sont possédés par elle ; nous, nous l'empruntons — et c'est là chose très différente.

 

(Extrait des archives du Métropolite Antoine de Souroge: http://masarchive.org/Sites/Site/French.html)

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