Liberté et obéissance

La liberté et l’obéissance : les deux termes forment un couple à priori paradoxal, mais sont pourtant des composantes de la vie de tout homme qui vit en société. Dans bien des domaines de la vie (respect de la loi civile, impôts, éducation), nous sommes prêts à accepter sans broncher des principes d’obéissance. Si par exemple nous voulons apprendre la musique, nous ne contredisons pas le professeur en début de formation ; pour pouvoir atteindre la liberté de jouer du violon, nous allons suivre une certaine ascèse et obéir à des prescriptions que nous ne comprenons pas bien.

Nous avons parfois plus de mal à accepter l’idée d'obéissance vis-à-vis de Dieu, vis-à-vis de nos frères et sœurs en Christ dans l’église. Peut-être est-ce du fait que dans le cadre du cours de musique, nous identifions clairement notre projet et le moyen de le réaliser, c’est ce qui nous pousse à obéir de bon cœur, de plein gré.

Par contre, on pourrait presque  s’inquiéter de ce que les chrétiens éprouvent le besoin de justifier la nécessité de ce paradoxe fondateur de la vie en société aussi bien que de la vie en christ, où liberté et obéissance sont imbriqués de manière indissociables.

Le projet de notre vie chrétienne : nous sommes appelés à la déification. Nous oublions trop souvent cette invitation grandiose du Créateur à partager sa vie et à accomplir notre ressemblance avec Lui. Le chemin vers cet aboutissement trouve son origine dans ce juste équilibre entre liberté et obéissance.

Nous avons tendance à mesurer la liberté d’une personne en fonction de sa capacité à faire ce qu’elle veut ou à obtenir et posséder ce qu’elle désire, sans délais de préférence. Dans ce cas, la liberté est assimilée à la volonté individuelle.

L’obéissance, elle, est souvent définie comme un état qui résulté d’un rapport de forces, où l’obéissant est réduit à un état d’esclavage par un maître despotique. Cette compréhension de la notion d’obéissance est réductrice et donc erronée, et même dangereuse, elle risque de nous faire passer à côté de l’essentiel dans notre relation à Dieu.

Cette conception de la liberté rappelle celle qu’Adam a choisi d’accepter lorsque le serpent la lui a soufflée, et que nous observons souvent nous-mêmes. Il faut comprendre que c’est Adam qui a choisi de poser la question de la liberté en termes de rapport de forces, de soumission, parce que quelque chose s’est brisé dans la relation qu’il avait avec Dieu.

Liberté et création de l’homme

Le mode d’être de Dieu, c’est d’être en relation. Il est amour et l’est de tout temps. Dieu a crée l’homme à son image ; tout comme Dieu, l’homme existe en relation, l’homme est libre, il est libre dans ses relations. La chute est la conséquence d’un acte libre, un choix en termes de relation. L’homme a choisi de ne pas privilégier sa relation avec Dieu.

Dieu a crée l’homme sans défaut, pour l’incorruptibilité, c'est-à-dire pour la perfection.

Comme tout ce que Dieu à fait, la volonté naturelle de l’homme, la volonté propre à sa nature, était tout à fait bonne.

La chute est la conséquence d’un acte libre, d’un choix délibérément posé par l’homme (par l’homme et la femme, l’anthropos) ; un choix en terme de relation. L’homme a choisi de ne pas privilégier sa relation avec Dieu.

On peu dire que Dieu a crée l’homme avec une place vide dans le cœur, une place pour la relation, pour l’amour. L’homme choisit librement d’accorder cette place à Dieu. S’il donne cette place à Dieu, alors il trouve la liberté, parce que Dieu n’est pas un maître despotique mais un maître aimant et que sa volonté est indissociable de son amour pour nous. Mais si l’on ne lui accorde pas cette place vide, elle est occupée par le mal, le Malin. Alors vient l’aliénation. C’est à partir de la chute que la liberté a commencé à faire défaut à l’homme ; depuis lors, l’homme a du mal à dominer sa volonté. C’est de cela que parle saint Paul : (Rm 7,19).

C’est cela cette relation altérée qu’on appelle : Le péché . Elle a existé dès le moment où le projet a existé dans le cœur de l’homme et de la femme de retirer leur confiance dans la parole de Dieu, dès qu’ils ont choisi de changer de direction et ont rompu la communion qui existait entre eux et le créateur, dès qu’ils ont abîmé leur relation avec le créateur.

En choisissant de désobéir à Dieu, l’homme et la femme ont exercé leur liberté sans discernement, et ils ont manqué le but de leur vie (la participation aux énergies divines).

Le péché a altéré leur nature de manière irrémédiable. En conséquence de cela, les relations entre l’homme et la femme, entre eux et Dieu sont altérées et les passions, les défauts, les transgressions se sont multipliées. Quelque chose s’est abîmé dans la nature de l’homme, qui limite à tel point cette liberté que Dieu avait donné à l’homme dès la création, que cela entraîne l’homme jusqu’à la fin de cette vie que Dieu avait donnée, jusqu’à la non-existence, à la mort, qui est la plus grande des aliénations. Le péché est donc un échec existentiel.

Le péché ne pouvait pas nous mener à la liberté. Le péché nous aliène et limite notre liberté. Non seulement la mort comme salaire du péché, donne une limitation à notre vie,  mais la crainte de la mort nous a longtemps tenu captifs.

Restauration en Christ de la nature humaine

Le christ viens réparer l’homme, le Christ vient réparer Adam, lui qu’on appelle le Nouvel Adam. Mais il ne vient pas le restaurer de l’extérieur. Il aurait pu, d’une simple parole, colmater, cette citerne lézardée, il aurait pu nous rendre immédiatement notre première dignité. Mais s’il fait cela, rien n’aurait empêché une nouvelle rechute, après la chute. Pour éviter une rechute, il aurait fallu qu’il nous prive de la capacité de tomber à nouveau. Mais alors nous n’aurions pas été libres. C’est pourquoi, il est venu réparer l’homme en devenant tout a fait semblable à l’homme, il a assumé librement le choix de se dépouiller de sa propre gloire pour devenir un nouvel Adam, pour que l’humanité, en Lui, soit récapitulée. (Eph 1,10. Philip 2,6-11).

La guérison vient dans ses blessures, dans son obéissance. Le Christ vient récapituler, réunir en Lui  l’humanité.

De la même manière que nous communions à la nature humaine en Adam, nous communion à cette nouvelle nature renouvelée en Christ, nouvel Adam, nous héritons de la résurrection. En lui, nous trouvons la guérison mais par l’obéissance librement consentie, car incorporés dans la communauté ecclésiale, qui est le corps du Christ ressuscité, nous établissons des relations nouvelles ou « liberté » n’est plus synonyme de volonté individuelle et ou obéissance n’est plus synonyme de soumission servile.

L’obéissance librement consentie dont le Christ nous montre l’exemple n’est en aucun cas une obéissance aveugle. Elle ne relève pas d’une relation de soumission de maître à esclave. Le christ lui-même s’est dépouillé de sa propre divinité, dans un anéantissement que la tradition patristique appelle « kénose ». Il aurait pu ne pas le faire. Son obéissance sur le mont Athos, était fondé sur l’amour, c’est par amour qu’il s’est dessaisi de sa propre volonté et non par peur, comme dans une relation d’esclave. Devenant homme, assumant en tout la nature humaine, il a pris aussi une volonté humaine, en plus de sa volonté divine ; ces deux volontés ne ce sont jamais trouvés en contradiction, car toujours sa volonté humaine s’est inclinée devant la volonté commune de la sainte Trinité.

Par cette obéissance librement consentie, la personne de Jésus Christ, unique bien que possédant deux volontés, nous montre le chemin pour retrouver notre liberté perdue. Ce qui nous montre et nous offre, c’est la liberté par rapport à la haine et à la mort, par rapport au péché, par rapport à cet échec de la nature humaine. 

L’obéissance

Si nous comprenons que c’est de la mort et du péché que le Christ est venue nous libérer, L’œuvre qu’il est venu accomplir est de nous permettre de retrouver notre relation avec Dieu et avec les autres, qui elle aussi a été altérée par la chute. Il vient nous permettre de voir Dieu tel qu’il est, alors que nous en étions séparés. Il vient nous permettre de devenir plus que ce que nous étions avant la chute. Il vient nous donner de devenir dieu, d’être déifiés.

C’est dans cette perspective, que nous pouvons comprendre et justifier le fait que Paul recommande aux esclaves d’obéir à leurs maîtres comme au Christ (Eph 6,5), alors même que l’esclavage n’est pas une pratique compatible avec l’enseignement de l’évangile.

Ce dont le christ est venu nous libérer est bien au-delà de l’affranchissement d’un esclave par rapport à son maître.

Le christ vient nous donner la vie éternelle, d’être déifié et de transfigurer la création. Il y a une hiérarchie des priorités. La libération de la mort et du péché est autrement plus urgente qu’une libération sociale.

Dans la perspective d’une libération éternelle, on peut supporter un peu d’obéissance temporelle, même injuste. Cette obéissance temporelle est d’ailleurs dépassée pour les chrétiens et devient anecdotique, par la participation au projet de communion que le christ est venu instaurer et fonder dans l’église.

Plus que de chercher une liberté illusoire, le chrétien veut être libéré de la mort et du péché, et cette libération lui est donnée par le Christ-Vérité. Dans le seul passage de l’évangile où l’on, entend parler de liberté, le christ dit bien que c’est la liberté qui peut rendre l’homme  libre.

Le christ dit que si nous demeurons dans sa parole, en d’autre terme, si nous lui obéissons, la Vérité nous rendra libres. Or la Vérité n’est pas quelque chose que l’on choisit à sa convenance, ce n’est pas nous qui la créons, elle existe indépendamment de nous. C’est elle qui nous rend libre, si nous la connaissons, si nous la suivons.

Le christ nous dit que la Vérité n’est pas un concept intellectuel, mais qu’elle est une personne, le christ lui-même. Le christ dit ; «  je suis le chemin, la vérité et la vie » (Jn 14,6).

Et de même que la Vérité n’est pas un concept, de même la liberté n’est pas non plus un concept intellectuel, mais un mode d’être, un fait de relation. La véritable liberté n’est pas de faire ce que je veux, mais de connaître la Vérité incarnée qu’est le Christ. Le connaître c’est être en relation avec Lui. Ce qui nous rend libre, c’est notre confiance en Lui, notre écoute de Lui, en d’autres termes, notre obéissance. Cette relation restaurée, cette écoute active, cette obéissance au christ, ses premiers disciples, sur sa recommandation, l’ont mis en pratique de façon concrète au sein de la communauté chrétienne de l’église. 

L’église n’est pas seulement corps du christ mais également épouse du christ (Jn 3,29 ; 2 Cor 11,2 ; Eph 5,22-23 ; Ap 21,2 ; 22,17). Il y a entre le Christ et l’église, une relation fondamentalement nuptiale, dont la relation entre époux est un bonne représentation, avec ce qu’elle comporte comme don de soi, de renoncement joyeux à sa propre liberté, renoncement qui n’est ressenti que comme quelque chose de constructeur et de positif et non pas comme une aliénation. Dans la relation nuptiale, les conjoints s’approprient mutuellement la volonté de l’autre, dans un esprit de joie et non de contrainte. « Dieu aime celui qui donne dans la joie » (2 Cor 9,7). Il y a comme une osmose nuptiale des volontés dans la vie du Christ et de l’église. Le Christ n’est pas libre puisqu’il a fait entrer l’église dans l’éternité, il ne pourrait pas nier sa présence.

 Or L’église est constituée d’êtres libres, au même titre que le Christ. A partit du moment où il y a cette relation d’amour qui lie les personnes au Christ, le Christ n’est plus libre. Il s’est librement dépouillé de sa liberté, dans cette osmose nuptiale des volontés entre lui et son église et entre les différents membres de l’église. Cette osmose nuptiale des volontés, est ce que l’on appelle, la conciliarité.

De la même façon que le Christ et l’église s’obéissent mutuellement dans la joie et l’amour, aussi les membres des communautés chrétiennes, doivent écouter et se soumettre librement les uns aux autres. La conciliarité se retrouve dans les notions de collégialité, de synodalité, qu’on pourrait appeler aujourd’hui, d’une manière plus simple d’esprit d’équipe. Cet esprit d’équipe, cette obéissance mutuelle, est la base de la vie de l’église.

La conciliarité est liée à la notion de catholicité, en ce sens que chaque église locale est une église totale, complète, en communion avec la plénitude de la vérité. En chaque église locale se manifeste pleinement le Corps du Christ.

Responsabilité

Même si l’évêque est responsable des décisions et également du ministère de la parole dans l’église, tous les fidèles sont responsables du témoignage de la vérité, par une fonction que l’on appelle le sacerdoce royal des baptisés.

Le témoignage de la vérité, nous ramène à la notion de liberté. 

Parfois quand l’église ne se manifeste pas de façon ecclésiale et plénière dans la vie d’une communauté, il peut y avoir pour les fidèles un devoir de désobéissance envers la hiérarchie de l’église. Les décisions ecclésiales sont des actes sacerdotaux, royaux et prophétiques proprement christiques. L’autorité qui est assurée dans l’église par les ministres ordonnées est donc fonctionnelle, elle ne leur appartient pas personnellement.

L’autorité dans l’église, n’est pas un charisme propre à la personne, mais la manifestation de la grâce de l’Esprit Saint qui agit dans la communauté entière. C’est une autorité de service, au service de la communauté de la part de celui qui la récapitule…. 

Liberté et obéissance dans la vie pratique

La conciliarité, cette obéissance mutuelle, cette osmose nuptiale des volontés doit exister à tous les niveaux de la vie du chrétien. A tous les niveaux de sa vie, il est en relation libre d’obéissance avec ses frères et sœurs dans l’église, ainsi qu’avec les autorités pastorales.

Cette conciliarité à tous les niveaux signifie que je ne peux pas m’accorder à moi-même, à ma propre conscience individuelle, une autorité magistérielle, je ne suis pas mon propre maître. Nous nous soumettons les uns aux autres dans la crainte de Dieu (Eph 5,21).

Le père spirituel est une réponse à la parole du christ qui dit qu’un aveugle ne peut pas diriger un autre aveugle (Mt 15,14 ; Lc 6,39). La paternité spirituelle n’implique pas de celui qui se soumet une obéissance aveugle.

La paternité spirituelle consiste en une forme de conseil basé sur l’amour et la confiance.  Il S’agit d’une écoute active, cette écoute se passe entre deux personnes qui marchent ensemble  sur le même chemin. Le père spirituel marche sur le  chemin avec moi, il est un compagnon de route.

Il n’y a pas d’interdit dans l’église, ni dans la vie d’un chrétien. « Tout m’est permis, mais tout ne m’est pas profitable » (1 Cor 6,12). Paul nous rappelle que la limite à cette permission est à trouver dans le salut de mon voisin, de mon frère. « Prenez garde que votre liberté ne devienne pour les faibles une occasion de chute » (1 Cor 8,9).

La limitation de notre liberté est donc fonction de notre amour, de notre compassion vis-à-vis du frère ; en cela nous devenons semblable à Dieu, parce que Dieu, lui, limite sa propre liberté par amour pour nous ». 

(Père Christophe d’Alosio)

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