Liberté et obéissance
Nous avons parfois plus
de mal à
accepter l’idée d'obéissance vis-à-vis de Dieu, vis-à-vis de nos
frères
et sœurs en Christ dans l’église. Peut-être est-ce du fait que dans le
cadre du
cours de musique, nous identifions clairement notre projet et le moyen
de le
réaliser, c’est ce qui nous pousse à obéir de bon cœur, de plein gré.
Par
contre, on pourrait
presque s’inquiéter de ce que les
chrétiens éprouvent le besoin de justifier la nécessité de ce paradoxe
fondateur de la vie en société aussi bien que de la vie en christ, où
liberté
et obéissance sont imbriqués de manière indissociables.
Le
projet de notre vie
chrétienne : nous sommes appelés à la déification. Nous oublions
trop
souvent cette invitation grandiose du Créateur à partager sa vie et à
accomplir
notre ressemblance avec Lui. Le chemin vers cet aboutissement trouve
son
origine dans ce juste équilibre entre liberté et obéissance.
Nous
avons tendance à
mesurer la liberté d’une personne en fonction de sa capacité à faire ce
qu’elle
veut ou à obtenir et posséder ce qu’elle désire, sans délais de
préférence.
Dans ce cas, la liberté est assimilée à la volonté individuelle.
L’obéissance,
elle, est
souvent définie comme un état qui résulté d’un rapport de forces, où
l’obéissant est réduit à un état d’esclavage par un maître despotique.
Cette
compréhension de la notion d’obéissance est réductrice et donc erronée,
et même
dangereuse, elle risque de nous faire passer à côté de l’essentiel dans
notre
relation à Dieu.
Cette
conception de la
liberté rappelle celle qu’Adam a choisi d’accepter lorsque le serpent
la lui a
soufflée, et que nous observons souvent nous-mêmes. Il faut comprendre
que
c’est Adam qui a choisi de poser la question de la liberté en termes de
rapport
de forces, de soumission, parce que quelque chose s’est brisé dans la
relation
qu’il avait avec Dieu.
Liberté
et création de
l’homme
Le
mode d’être de Dieu,
c’est d’être en relation. Il est amour et l’est de tout temps. Dieu a
crée
l’homme à son image ; tout comme Dieu, l’homme existe en relation,
l’homme
est libre, il est libre dans ses relations. La chute est la conséquence
d’un
acte libre, un choix en termes de relation. L’homme a choisi de ne pas
privilégier sa relation avec Dieu.
Dieu
a crée l’homme sans
défaut, pour l’incorruptibilité, c'est-à-dire pour la perfection.
Comme
tout ce que Dieu à
fait, la volonté naturelle de l’homme, la volonté propre à sa nature,
était
tout à fait bonne.
La
chute est la conséquence
d’un acte libre, d’un choix délibérément posé par l’homme (par l’homme
et la
femme, l’anthropos) ; un choix en terme de relation. L’homme a
choisi de ne
pas privilégier sa relation avec Dieu.
On
peu dire que Dieu a crée
l’homme avec une place vide dans le cœur, une place pour la relation,
pour
l’amour. L’homme choisit librement d’accorder cette place à Dieu. S’il
donne
cette place à Dieu, alors il trouve la liberté, parce que Dieu n’est
pas un
maître despotique mais un maître aimant et que sa volonté est
indissociable de
son amour pour nous. Mais si l’on ne lui accorde pas cette place vide,
elle est
occupée par le mal, le Malin. Alors vient l’aliénation. C’est à partir
de la
chute que la liberté a commencé à faire défaut à l’homme ; depuis
lors,
l’homme a du mal à dominer sa volonté. C’est de cela que parle saint
Paul : (Rm 7,19).
C’est
cela cette relation
altérée qu’on appelle : Le péché . Elle a existé dès le moment où le
projet a
existé dans le cœur de l’homme et de la femme de retirer leur confiance
dans la
parole de Dieu, dès qu’ils ont choisi de changer de direction et ont
rompu la
communion qui existait entre eux et le créateur, dès qu’ils ont abîmé
leur
relation avec le créateur.
En
choisissant de désobéir à
Dieu, l’homme et la femme ont exercé leur liberté sans discernement, et
ils ont
manqué le but de leur vie (la participation aux énergies divines).
Le
péché a altéré leur
nature de manière irrémédiable. En conséquence de cela, les relations
entre
l’homme et la femme, entre eux et Dieu sont altérées et les passions,
les
défauts, les transgressions se sont multipliées. Quelque chose s’est
abîmé dans
la nature de l’homme, qui limite à tel point cette liberté que Dieu
avait donné
à l’homme dès la création, que cela entraîne l’homme jusqu’à la fin de
cette
vie que Dieu avait donnée, jusqu’à la non-existence, à la mort, qui est
la plus
grande des aliénations. Le péché est donc un échec existentiel.
Le
péché ne pouvait pas nous
mener à la liberté. Le péché nous aliène et limite notre liberté. Non
seulement
la mort comme salaire du péché, donne une limitation à notre vie, mais la crainte de la mort nous a longtemps
tenu captifs.
Restauration
en Christ de la
nature humaine
Le
christ viens réparer
l’homme, le Christ vient réparer Adam, lui qu’on appelle le Nouvel
Adam. Mais
il ne vient pas le restaurer de l’extérieur. Il aurait pu, d’une simple
parole,
colmater, cette citerne lézardée, il aurait pu nous rendre
immédiatement notre
première dignité. Mais s’il fait cela, rien n’aurait empêché une
nouvelle
rechute, après la chute. Pour éviter une rechute, il aurait fallu qu’il
nous
prive de la capacité de tomber à nouveau. Mais alors nous n’aurions pas
été
libres. C’est pourquoi, il est venu réparer l’homme en devenant tout a
fait
semblable à l’homme, il a assumé librement le choix de se dépouiller de
sa
propre gloire pour devenir un nouvel Adam, pour que l’humanité, en Lui,
soit
récapitulée. (Eph 1,10. Philip 2,6-11).
La
guérison vient dans ses
blessures, dans son obéissance. Le Christ vient récapituler, réunir en
Lui l’humanité.
De
la même manière que nous
communions à la nature humaine en Adam, nous communion à cette nouvelle
nature
renouvelée en Christ, nouvel Adam, nous héritons de la résurrection. En
lui,
nous trouvons la guérison mais par l’obéissance librement consentie,
car incorporés
dans la communauté ecclésiale, qui est le corps du Christ ressuscité,
nous
établissons des relations nouvelles ou « liberté » n’est plus
synonyme de volonté individuelle et ou obéissance n’est plus synonyme
de
soumission servile.
L’obéissance
librement
consentie dont le Christ nous montre l’exemple n’est en aucun cas une
obéissance aveugle. Elle ne relève pas d’une relation de soumission de
maître à
esclave. Le christ lui-même s’est dépouillé de sa propre divinité, dans
un
anéantissement que la tradition patristique appelle
« kénose ». Il
aurait pu ne pas le faire. Son obéissance sur le mont Athos, était
fondé sur l’amour,
c’est par amour qu’il s’est dessaisi de sa propre volonté et non par
peur,
comme dans une relation d’esclave. Devenant homme, assumant en tout la
nature
humaine, il a pris aussi une volonté humaine, en plus de sa volonté
divine ; ces deux volontés ne ce sont jamais trouvés en
contradiction, car
toujours sa volonté humaine s’est inclinée devant la volonté commune de
la
sainte Trinité.
Par
cette obéissance
librement consentie, la personne de Jésus Christ, unique bien que
possédant
deux volontés, nous montre le chemin pour retrouver notre liberté
perdue. Ce
qui nous montre et nous offre, c’est la liberté par rapport à la haine
et à la
mort, par rapport au péché, par rapport à cet échec de la nature
humaine.
L’obéissance
Si
nous comprenons que c’est
de la mort et du péché que le Christ est venue nous libérer, L’œuvre
qu’il est
venu accomplir est de nous permettre de retrouver notre relation avec
Dieu et
avec les autres, qui elle aussi a été altérée par la chute. Il vient
nous permettre
de voir Dieu tel qu’il est, alors que nous en étions séparés. Il vient
nous
permettre de devenir plus que ce que nous étions avant la chute. Il
vient nous donner
de devenir dieu, d’être déifiés.
C’est
dans cette
perspective, que nous pouvons comprendre et justifier le fait que Paul
recommande aux esclaves d’obéir à leurs maîtres comme au Christ (Eph
6,5),
alors même que l’esclavage n’est pas une pratique compatible avec
l’enseignement de l’évangile.
Ce
dont le christ est venu
nous libérer est bien au-delà de l’affranchissement d’un esclave par
rapport à
son maître.
Le
christ vient nous donner
la vie éternelle, d’être déifié et de transfigurer la création. Il y a
une
hiérarchie des priorités. La libération de la mort et du péché est
autrement
plus urgente qu’une libération sociale.
Dans
la perspective d’une
libération éternelle, on peut supporter un peu d’obéissance temporelle,
même
injuste. Cette obéissance temporelle est d’ailleurs dépassée pour les
chrétiens
et devient anecdotique, par la participation au projet de communion que
le
christ est venu instaurer et fonder dans l’église.
Plus
que de chercher une liberté
illusoire, le chrétien veut être libéré de la mort et du péché, et
cette
libération lui est donnée par le Christ-Vérité. Dans le seul passage de
l’évangile où l’on, entend parler de liberté, le christ dit bien que
c’est la
liberté qui peut rendre l’homme libre.
Le
christ dit que si nous
demeurons dans sa parole, en d’autre terme, si nous lui obéissons,
Le
christ nous dit que
Et
de même que
L’église
n’est pas seulement
corps du christ mais également épouse du christ (Jn 3,29 ; 2 Cor
11,2 ;
Eph 5,22-23 ; Ap 21,2 ; 22,17). Il y a entre le Christ et
l’église,
une relation fondamentalement nuptiale, dont la relation entre époux
est un
bonne représentation, avec ce qu’elle comporte comme don de soi, de
renoncement
joyeux à sa propre liberté, renoncement qui n’est ressenti que comme
quelque
chose de constructeur et de positif et non pas comme une aliénation.
Dans la
relation nuptiale, les conjoints s’approprient mutuellement la volonté
de
l’autre, dans un esprit de joie et non de contrainte. « Dieu aime
celui
qui donne dans la joie » (2 Cor 9,7). Il y a comme une osmose
nuptiale des
volontés dans la vie du Christ et de l’église. Le Christ n’est pas
libre
puisqu’il a fait entrer l’église dans l’éternité, il ne pourrait pas
nier sa
présence.
Or L’église est constituée d’êtres libres, au
même titre que le Christ. A partit du moment où il y a cette relation
d’amour
qui lie les personnes au Christ, le Christ n’est plus libre. Il s’est
librement
dépouillé de sa liberté, dans cette osmose nuptiale des volontés entre
lui et
son église et entre les différents membres de l’église. Cette
osmose nuptiale des
volontés, est ce que l’on appelle, la conciliarité.
De
la même façon que le Christ et l’église s’obéissent mutuellement dans la joie et l’amour,
aussi les
membres des communautés chrétiennes, doivent écouter et se soumettre
librement
les uns aux autres.
La
conciliarité est liée à
la notion de catholicité, en ce sens que chaque église locale est une
église
totale, complète, en communion avec la plénitude de la vérité. En
chaque église
locale se manifeste pleinement le Corps du Christ.
Responsabilité
Même
si l’évêque est
responsable des décisions et également du ministère de la parole dans
l’église,
tous les fidèles sont responsables du témoignage de la vérité, par une
fonction
que l’on appelle le sacerdoce royal des baptisés.
Le
témoignage de la vérité,
nous ramène à la notion de liberté.
Parfois
quand l’église ne se
manifeste pas de façon ecclésiale et plénière dans la vie d’une
communauté, il
peut y avoir pour les fidèles un devoir de désobéissance envers la
hiérarchie
de l’église. Les décisions ecclésiales sont des actes sacerdotaux,
royaux et
prophétiques proprement christiques. L’autorité qui est assurée dans
l’église
par les ministres ordonnées est donc fonctionnelle, elle ne leur
appartient pas
personnellement.
L’autorité
dans l’église,
n’est pas un charisme propre à la personne, mais la manifestation de la
grâce
de l’Esprit Saint qui agit dans la communauté entière. C’est une
autorité de
service, au service de la communauté de la part de celui qui la
récapitule….
Liberté
et obéissance dans
la vie pratique
La
conciliarité, cette obéissance
mutuelle, cette osmose nuptiale des volontés doit exister à tous les
niveaux de
la vie du chrétien. A tous les niveaux de sa vie, il est en relation
libre
d’obéissance avec ses frères et sœurs dans l’église, ainsi qu’avec les
autorités pastorales.
Cette
conciliarité à tous
les niveaux signifie que je ne peux pas m’accorder à moi-même, à ma
propre
conscience individuelle, une autorité magistérielle, je ne suis pas mon
propre
maître. Nous nous soumettons les uns aux autres dans la crainte de Dieu
(Eph
5,21).
Le
père spirituel est une
réponse à la parole du christ qui dit qu’un aveugle ne peut pas diriger
un
autre aveugle (Mt 15,14 ; Lc 6,39). La paternité spirituelle
n’implique
pas de celui qui se soumet une obéissance aveugle.
La
paternité spirituelle
consiste en une forme de conseil basé sur l’amour et la confiance. Il S’agit d’une écoute active, cette écoute
se passe entre deux personnes qui marchent ensemble
sur le même chemin. Le père spirituel marche
sur le chemin avec moi, il est un
compagnon de route.
Il n’y a pas d’interdit dans l’église, ni dans la vie d’un chrétien. « Tout m’est permis, mais tout ne m’est pas profitable » (1 Cor 6,12). Paul nous rappelle que la limite à cette permission est à trouver dans le salut de mon voisin, de mon frère. « Prenez garde que votre liberté ne devienne pour les faibles une occasion de chute » (1 Cor 8,9).
La limitation de notre
liberté est donc fonction de notre amour, de notre compassion vis-à-vis du
frère ; en cela nous devenons semblable à Dieu, parce que Dieu, lui,
limite sa propre liberté par amour pour nous ».
(Père Christophe d’Alosio)