Sacrifice Croix et Royaume

Sacrifice – Croix – Royaume de Cieux

La Cène mystique achève le ministère terrestre du Christ. Dès lors, tout ce qu’après la Cène le Christ accomplit et que la prière eucharistique commémore apparaît dans celle-ci, aussi bien que dans la foi et l’expérience de l’Eglise, comme la conséquence de cette manifestation du Royaume, comme sa première victoire, décisive et salvique, dans le monde et sur le monde.

Le Christ a été crucifié par « ce monde », par son péché, sa haine, sa lutte contre Dieu. Dans notre temps terrestre, l’initiative de la Croix, appartenait au péché, comme elle continue de lui appartenir maintenant encore, en chacun de nous, quand, par nos péchés, nous remettons en nous-mêmes le Fils de Dieu en croix et nous l’insultons. La Croix, c'est-à-dire la trahison, les souffrances, la crucifixion et la mort était inévitable dans ce monde.

Par cette même croix, qui avait incarné l’essence même du péché, la lutte contre Dieu, le péché a été vaincu, parce que par la mort sur la croix, la mort a été anéantie ; du fond de cette victoire de la croix avait rayonné la joie de la résurrection.

C’est de cette relation entre la Cène et la Croix, de leur relation comme manifestation du Royaume et de sa victoire, que témoigne l’Evangile aussi bien que la liturgie.

L’achèvement du péché dont le début se situe au paradis : l’amour de l’homme abandonne Dieu, il se choisit soi-même et non pas Dieu. Ce choix de déchéance commence et détermine toute la vie, toute l’histoire du monde, de « ce monde » gisant dans le « mal » sous le règne de son prince.

L’histoire du péché, celle de l’amour aveuglé, perverti, tombé dans le rapt, car il arrache « pour soi » la vie donnée pour être communion avec Dieu, cette histoire là prend fin.

Le mystère de la victoire. Dans le Christ qui, par le don de « soi-même » à la Cène mystique, manifeste son Royaume et Sa Gloire, c’est ce « Royaume » qui sort dans la nuit de « ce monde ».

Par la Cène mystique, par la manifestation du Royaume de l’Amour, le Christ se condamne à la Croix, car les mondes du Royaume et du prince de ce monde ne peuvent coexister et que pour détruire le pouvoir du péché et de la mort, pour ramener à Lui sa créature dérobée par le diable et pour sauver le monde, Dieu  a donné son Fils unique.

Le Sacrifice du Christ est lié non pas au péché et au mal, mais à l’amour dont il est une manifestation et une réalisation. Il n’y  a pas d’amour sans sacrifice, car en se donnant à autrui, posant Sa vie en autrui et lui obéissant en tout, l’amour est sacrifice. Et si dans ce monde, le sacrifice est inévitablement en rapport avec la souffrance, ce n’est pas en raison de sa propre nature, mais à cause de celle du monde qui gît dans le mal et qui s’est aliéné de l’amour.

Le Christ est lui-même sacrifice, étant l’amour parfait, il est par conséquent le Sacrifice parfait. Il est non seulement par son œuvre de salut, mais avant tout dans sa suréternelle condition de Fils, renoncement dans l’amour et obéissance totale au Père. Nous pouvons faire remonter le sacrifice jusqu’à la Vie même de la Sainte Trinité.  Nous pouvons contempler cette béatitude dans la perfection de la Sainte trinité, en tant que le don réciproque parfait du Père et du Fils et du Saint Esprit l’un à l’autre, en tant qu’Amour parfait et, donc, que sacrifice parfait.

Ce sacrifice éternel, le Fils l’apporte au Père et, par obéissance au Père, il se renonce pour la vie du monde. Il le fait par l’incarnation, en assumant la nature humaine, en devenant Fils de l’homme. Il le fait en recevant le baptême de Jean et en prenant sur lui tout le péché du monde. Il l’accomplit en manifestant et en donnant à ses disciples, pendant la Saint Cène, le Royaume de Dieu, comme Royaume du renoncement, de l’amour et du sacrifice parfaits.

Or puisque ce don est apporté dans « ce monde » et qu’aussitôt, il s’y heurte à l’opposition du mal dans toutes ses manifestations (massacre des enfants, incroyance, haine fanatique des scribes et pharisiens…) ce don sacrificiel est aussi dès le  commencement: La Croix, souffrance et acceptation, combat moral et victoire. C’est la Crucifixion au sens profond du terme. 

Tout le mystère terrestre étant l’offrande du Sacrifice suréternel de l’amour dans « ce monde », pour nous autres, hommes, et pour notre salut, il est la Croix. A la Sainte Cène, il est joie et don du Royaume, à la crucifixion, il est lutte et victoire. Mais c’est la même offrande, le même sacrifice, la même victoire. Par la Croix en tant que la croix, cette offrande, ce sacrifice et cette victoire nous sont transmis, accordés, à nous dans « ce monde », parce que dans ce monde et d’abord en nous-mêmes, c’est seulement par la Croix que s’effectue notre montée vers la joie et la plénitude du Royaume qui nous est légué.

« Par la croix de NSJC le monde est crucifié pour moi et moi pour le monde » (Galat 6.14). Ces paroles expriment l’essence même de la vie chrétienne, qui est de suivre le Christ ! le monde m’est crucifié. Si suivre le Christ, c’est répondre par l’amour à son amour, se sacrifier en retour à son sacrifice, alors, dans ce monde, cela ne peut manquer d’être la haute ascèse d’un constant renoncement à ce monde, à son orgueil et à son aséité, à sa concupiscence de la chair, des yeux et des biens terrestres : je suis sacrifié au monde.

Ce sacrifice ne peut être que ma crucifixion, car le monde n’est pas seulement extérieur à moi, mais en moi, dans le vieil homme qui est en moi et le combat que lui livre la vie nouvelle donnée par le Christ ne cesse jamais durant notre pèlerinage sur terre. « En ce monde, vous aurez des afflictions » (Jn 16.33).  

Cette peine, cette tristesse sont connue de celui qui suit le Christ, même de loin et loin, de quiconque l’aime et se remet entre ses mains : C’est « la croix  souffrance », mais par l’amour et le renoncement, cette affliction devient joie, car elle est perçue comme une communion avec la Crucifixion du Christ, comme une acceptation de sa Croix, et donc, comme une participation à sa victoire : « ayez courage, j’ai vaincu le monde » (Jn 16.33).

Voilà pourquoi l’anamnèse, commémoraison du Royaume de Dieu manifesté et légué au cours de la Cène mystique est inséparablement par là-même commémoraison de la Croix, du Corps du Christ, mais rompu pour nous, du Sang du Christ, mais répandu pour nous.

Voilà pourquoi, c’est seulement par la Croix que le don du Royaume en devient l’acceptation, que sa manifestation à l’Eucharistie devient notre montée au Ciel, notre participation à la Cène du Christ dans son Royaume. 


(Père Alexandre Schmemann)

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