Salut et action de grâce

Le paradis est la condition originelle de l’homme et de l’univers, antérieure avant la chute, à l’exil, et qu’il est aussi leur condition depuis le salut par le Christ. Il est la vie éternelle promise par Dieu, et déjà ouvert et donnée à l’homme en Christ.

Nous reconnaissons que le Paradis est le commencement et la fin auxquels se rapporte et  par lequel se détermine, se décide toute la vie de l’homme et, en lui, de la création entière.

C’est par ce commencement et par cette fin, que nous percevons aussi bien la source divine de notre existence que notre aliénation de Dieu, notre asservissement au péché et à la mort, aussi bien que notre salut par le Christ et que notre destinée dans l’éternité. Nous sommes créés dans le paradis et pour lui ; nous en sommes chassés, le Christ nous y ramène.

« Or la vie éternelle, c’est pour qu’il te connaisse, toi le seul Dieu » (Jn 17.3). Tout le christianisme est dans cette parole du Christ. L’homme est créé pour connaître Dieu. Sa vie véritable, donc éternelle, consiste à le connaître.

Adam a cessé de connaître Dieu et sa vie n’a plus été cette rencontre, cette communion avec Dieu et ainsi, avec toute la création de Dieu, qui faisait la nature même du paradis. C’est uniquement d’une telle rencontre avec Dieu vivant, avec Dieu comme la vie de la vie, que l’âme a soif.

L’action de grâce est le « signe », la présence, la joie, la plénitude de la connaissance de Dieu en tant que rencontre, que communion et unité. Il est impossible de connaitre Dieu et de ne pas le remercier, ni de lui exprimer sa gratitude sans le connaître. Sa connaissance transforme notre vie en reconnaissance et celle-ci transforme l’éternité en vie éternelle.

L’Eglise est la rencontre avec Dieu, réalisée en Christ, la connaissance de Dieu en Christ, qui nous sont accordés comme don de pure gratitude et d’eulogie paradisiaque.

Etant cette plénitude de l’âme connaissant dieu, l’action de grâce rétablit aussi la connaissance intégrale du monde, pulvérisée quand l’homme se fut déchu de Dieu dans le péché et devenu seulement un savoir relatif au monde.

Dieu avait créé l’homme, l’avait placé au paradis revêtu du pouvoir de nommer « toute âme vivante », c'est-à-dire de connaître de l’intérieur, dans son essence première et sa profondeur. Et voici restaurée cette connaissance du monde, qui ne consiste plus à savoir quelque chose sur lui, elle est restaurée par l’action de grâce qui, étant connaissance de Dieu, permet de reconnaître le monde comme celui de Dieu. elle nous fait savoir que toute chose a sa cause en Dieu, mais encore que tout dans le monde et celui-ci même sont des dons de l’amour de Dieu, des manifestations de Dieu, un appel à connaître Dieu en toute chose et, par là, a être en communion avec lui, tout avoir en tant que vie en Lui.

De même que le monde a été créé par « la bonne parole de Dieu, par sa bénédiction », au sens ontologique de ce mot composé, de même il est sauvé et rétabli par l’action de grâce et par la bénédiction qui nous sont donnés dans le temple du Christ. Par elles, nous recevons le monde comme icône, comme communion, comme sanctification. Par elles, nous le transformons en ce pour quoi il a été créé, tel qu’il nous a été donné par Dieu. « Ayant rendu grâce, l’ayant béni…. » (Le pain ; prière de l’oblation)…

Chaque fois que nous « faisons mémoire », du Christ qui « prit du pain dans ses mains sainte…. », Cela signifie qu’il a pris la matière, le monde, l’univers, nous sommes à nouveau les témoins de la recréation du monde comme « nourriture d’immortalité du paradis », où tout ce que Dieu a créé est appelé à devenir notre communion à l’amour, à la vie de Dieu.

Enfin, étant l’accomplissement de la connaissance, l’action de grâce est aussi celui de la liberté, de la véritable, dont le Christ a dit : « connaissez la vérité et la vérité vous rendra libres » (Jn 8.32). Cette liberté-là, l’homme l’a perdue quand il s’est aliéné de Dieu, quand il a été exilé du paradis.  L’homme n’a soif que de cette vie-là, participer à la vie surabondante de Dieu, à elle seule il applique le terme de « liberté ».

L’action de grâce est le lieu d’une vraie connaissance de Dieu, d’une rencontre avec Lui, elle est comme l’haleine qui fait vivre de Dieu.

Celui qui est né de Dieu, et qui l’a connu lui exprime sa gratitude et celui qui  le fait est libre.

L’action de grâce équilibre ce qui n’a pas de commune mesure, parce que sa dépendance de Dieu, objectivement indéniable et ontologiquement absolue, l’homme la connaît comme liberté. Il la connaît de l’intérieur par la connaissance de Dieu, par la rencontre avec Dieu, d’où l’action de grâce elle-même prend librement naissance.

L’action de grâce et la vénération sont provoquées par la vision du Très saint et du Très-haut, elles  accompagnent  l’entrée des fils de Dieu dans la liberté.

Cette liberté-là, l’Eglise nous la révèle et nous la donne chaque fois que nous nous élevons vers le sommet de la divine liturgie et que nous entendons l’appel adressé à nous-mêmes et à la création entière, et qui englobe toutes choses : « Rendons-grâce au Seigneur ! » proclame le célébrant qui préside l’assemblée.

Voilà que de nouveau s’élève au-dessus du monde cette action de grâce pure, libre, bienheureuse, rétablie et donnée à l’homme par le Christ, son action de grâce, sa connaissance, sa liberté de fils, devenues et devenant à jamais les nôtres. Parce qu’elle est du Christ, et d’en Haut, elle nous fait monter au paradis. Elle en est l’anticipation, communion dès maintenant, sur la terre, au Royaume du siècle futur. Aussi chaque fois qu’elle s’élève, le salut du monde est accompli.

Tout est consommé, tout est donné. L’homme se tient de nouveau où Dieu l’avait placé à l’origine. Il est restauré dans sa vocation, apporter à Dieu son « culte logique » (Rom 12.1), le connaître, le remercier, l’adorer « dans l’Esprit et dans la Vérité » (1 Jn 1.2), et par cette connaissance et par cette action de grâce, transformer le monde entier en communion avec la Vie, « qui était auprès du Père et s’est manifesté à nous » (1 Jn 1.2).

La liturgie est communion avec le Père. C’est au Père que s’adresse le « Toi » audacieux de la prière d’action de grâce.  La connaissance de Dieu où se réalise l’action de grâce de l’Eglise, est la connaissance du Père. La capacité « d’oser avec confiance et sans encourir de condamnation appeler Père le Dieu du Ciel, d’avoir accès au Père » (Ephes 2.18), est non seulement le plus grand don, mais est encore qu’il fait l’essence du salut, du notre et de celui du monde, par le Christ.

Le salut de l’homme et  du monde, réalisé par le christ, consiste en ce que le Père nous est révélé et que nous sommes amenés vers Lui. L’Eglise vit de cette connaissance filiale du Père et de cet accès auprès de Lui par le Fils, et elle les annonce précisément comme saut et vie éternelle.

 (Extrait des enseignements et cours théologiques du père Marc Antoine Costa de Beauregard)

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