Vie sexuelle (par Père Marc Antoine)

La sexualité n’ a pas comme fonction unique d’assurer la reproduction du genre humain guetté par la mort et la disparition mais elle a aussi comme fonction de permettre à l’être humain de passer d’une vie naturelle à une vie personnelle, de passer de la vie physique à une vie hypostatique, et ceci en transformant les rapports organiques, naturels, purement biologiques, en rapport de communion et en rapport évangéliques.

C’est la question fondamentale du mariage dans l’Eglise chrétienne : la métamorphose des rapports naturels qui sont bons, que Dieu a donnés, proposés à l’homme pour sa vie, si tant est qu’il ne soit pas abîmé par la chute et l’amour de soi, en rapport de communion.

Métamorphose des rapports naturels en rapports hypostatiques. Il n’y aura ni homme ni femme dans le royaume, ceci ne veut pas dire qu’il n’y aura pas d’amour, mais que l’amour sera hypostatique. C’est le chemin du salut, et c’est la même chose pour le moine. Le moine qui consacre sa sexualité à un autre qui est Dieu, comme le fait le couple qui consacre sa sexualité à un autre.

Le couple plaisir/douleur n’est pas paradisiaque. Ce qui est paradisiaque, c’est le don, la capacité spirituelle, puissance spirituelle de jouir. Cette capacité de jouissance a pour but Dieu lui-même. L’homme serait capable de jouir d’une manière ineffable.

 Il y a d’une façon naturelle, paradisiaque, avant la chute, en l’être humain, une capacité de jouissance dont l’objet est Dieu. A cause de la chute, cette capacité de jouissance a été détournée vers le monde sensible et s’y est perdue, elle est devenue folle. Elle s’est transformée en désir de possession.

Dieu a donné comme frein la douleur, comme limite. L’apparition du couple plaisir/douleur est liée à la chute : la douleur arrive comme signal, comme limite, puissance corrective. Cela rappelle que la souffrance n’est pas naturelle, elle n’est pas paradisiaque. Elle est naturelle au sens ou elle est intégrée maintenant à notre nature, comme la mort est devenu caractéristique de l’être humain.

Au paradis, il y a la capacité de jouir d’une manière ineffable, et après la chute, pour limiter les dégâts, Dieu donne la douleur en opposition.

La jouissance profonde de l’homme n’est pas une jouissance de son corps, mais une jouissance de l’homme intérieur. On croit souvent que le plaisir est une chose corporelle. Mais dans son fond s’il est aussi corporel, c’est une capacité de l’âme, et c’est pourquoi c’est tellement dangereux et délicats.

Les passions qui sont aussi de l’âme peuvent dévier de ce désir de jouissance vers toutes sortes d’objets qui ne sont pas dignes de ce désir, qui est ordonné à Dieu.

Le salut, chez les pères, est le fait de parvenir simplement à la façon que Dieu a prévu dans le Principe. Soit la sexualité conduite l’homme a la fin que Dieu a prévu, soit elle est un handicap, un frein et à ce moment là c’est la souffrance qui va servir de limite, de signal et de moyen de salut. C’est par la souffrance que l’homme va s’arrêter et commencer à essayer de changer de chemin, et peut être se réorienter.

L’apparition du couple plaisir/douleur fait partie aussi de l’expression de la miséricorde de Dieu, puisque c’est par la douleur que Dieu pose à l’homme une limite qui l’empêche de s’enfermer éternellement dans un éloignement de Lui. C’est l’aspect principal de la mort et de la souffrance, données par Dieu à l’homme après la chute.

Cette phrase du Christ : « aimez vous les uns les autres comme je vous ai aimé ». si cette phrase représente certainement l’accomplissement de la sexualité dans sa forme paradisiaque : l’éros ordonné à Dieu, passant par le créatures, mais ordonné finalement à Dieu, ayant sa source en Dieu et son type ultime dans l’amour que Dieu a pour les hommes.

Saint maxime le Confesseur, voit dans l’assumation et le dépassement de la sexualité une des étapes nécessaires pour l’évolution de l’être humain.

La circoncision, dans la première alliance, est quelque chose d’anachronique, qui appartient à un monde où l’on divise encore la réalité en pur et impur. Avec le nouveau testament, ceci disparaît. Ce qui va remplacer la circoncision abrahamique, c’est la circoncision spirituelle, véritable, la purification des passions, qui empêchent la fécondité de l’âme.

Cela veut dire, qu’en ce qui concerne la sexualité, son innocence, son naturel dépend essentiellement d’une purification de l’âme. La sexualité n’est pas quelque chose uniquement corporel, mais relève de l’ordre de l’âme.

Si l’être veut retrouver un usage naturel non aliéné de la sexualité animale, il faut qu’il purifie son âme des passions. Ce sera la véritable circoncision.

Les passions étant purifiées deviennent utiles. Etant purifiées, elles retrouvent leur état naturel. Pas l’état paradisiaque pour l’homme, mais leur état naturellement animal : le désir sexuel, l’alimentation, la colère, etc…sont nécessaires à l’animal pour vivre. Quand c’est dévié par l’inspiration diabolique par la désobéissance et particulièrement par l’amour propre, ceci perd son caractère naturel et devient sub-animal. Toute la pathologie sexuelle, toute la misère sexuelle est sub-animale. La débauche est sub-animale.

Il y a pour l’homme la possibilité d’être sub-animal ou d’être supérieur à l’animal. Mais si déjà il était un animal, ce serais déjà bien. Du point de vue pastoral, on peut déjà arriver à cela.

La question des passions est centrale. Pour saint Maxime, comme pour d’autres pères, les passions sont des énergies qui sont dans l’être crée et ces énergies peuvent être orientées, ordonnées à leur fin surnaturelle, qui ne serait pas l’instinct de conservation, encore moins la perversion, mais la vie en Dieu.

Par exemple, la convoitise, la concupiscence : elles peuvent être transformée en « élan vers Dieu ».L’angoisse peut être transformée en crainte de Dieu. La tristesse en componction du cœur. L’énergie qui préside à la vie sexuelle, et en particulier l’instinct de conservation, peut être convertie, baptisée au sens profond, et à ce moment là rejoindre l’éros paradisiaque.

Même dans le couple, un jour, l’autre n’est plus un homme ou une femme, il est quelqu’un. Derrière cela il y a l’amour du Christ. Seul un couple qui est uni dans la foi peut avoir une vie sexuelle qui est un sens éternel et qui n’a pas uniquement un sens de procréation, un sens de lutte contre la mort. La sexualité devient un signe de communion, le signe de l’amour.

Il faut que la sexualité devienne le signe de l’amour. C’est le problème de nos sociétés où l’on a une sexualité sans amour qui précède l’amour, et l’amour ne vient pas. La sexualité devient une chose en soi, qui remplace d’une manière illusoire l’amour, mais qui en fait ne la remplace pas. Le jour où cette sexualité disparaît, il n’y a plus rien.

Le couple acquiert l’amour par l’unanimité de la foi, et la sexualité est le signe concret, le sacrement d’un amour qui est beaucoup plus grand que cette sexualité même. Ce qui fait qu’un couple qui n’a pas de vie sexuelle va quand même s’aimer, à ce moment là, la vie sexuelle n’est plus la base du couple. Mais ce qui est la base du couple c’est l’amour, et l’amour en Dieu.

La base de la vie conjugale c’est l’amour et non la vie sexuelle.

La passion fait de la sexualité un absolu à cause de la « philétia », amour propre, égoïsme. C’est cette disposition de l’âme qui transforme non seulement la sexualité, mais bien d’autres choses (l’action, l’alimentation, les pensées), en passions mortelles. Cette névrose de l’être humain a sa source dans une passion unique qui est l’amour de soi, qui pourrit tout.

Soit l’être humain accepte de faire ce chemin de la conversion, de métanoia, de sortir de cet amour de soi pour acquérir l’amour de Dieu, et à travers l’amour de Dieu, acquérir l’amour que Dieu a pour les hommes, soit il se referme sur cet amour de soi et va détruire, corrompre toutes les dispositions de son être.

Choisissant de vivre selon l’amour du Christ, selon les commandements, il va sortir de cet amour de soi puisqu’il va faire passer l’amour du Christ avant, et à ce moment là les passions se convertiront.

L’amour, n’est pas une chose naturelle. L’amour au sens d’éros, n’appartient pas aux conditions de la chute, mais appartient à la condition paradisiaque et du Royaume, à cette condition divine de l’être humain

Par conséquent, l’homme ne peut avoir une participation à cet éros que selon l’ordre des charismes. C’est pourquoi, l’Eglise propose au couple le mariage c'est-à-dire le don charismatique de l’amour éternel. En dehors du don précis de l’amour de la part de Dieu, il n’y a pas d’amour. Il n’y a d’amour qu’en ayant source en Dieu. Ce qui ne veut pas dire qu’il n’y a que l’église qui le donne.

« Agapi », « agapes », est le nom pour désigner les relations des hypostases entre elles. Il s’emploi pout tout ce qui est « aimer » dans le sens d’accueillir, de recevoir, de s’intéresser à l’autre plus qu’à soi. C’est le terme par excellence des relations hypostatiques. Dans le sens des relations sexuelles, ce terme veut dire, non possession, non domination, effacement de soi, préférence de l’autre à soi, préférence du bonheur de l’autre au sien propre.

Ne mourrons pas en situation d’amour propre, mais essayons d’acquérir l’agape maintenant, que ce soit dans la sexualité ou dans d’autre chose, cette disposition d’accueil de préférence de l’autre à soi. L’hospitalité est une expression der l’amour agapique.

La « philia », c’est l’entraide.

Selon saint Maxime le Confesseur, tout ce qui est naturel à l’homme doit être couronné par la grâce. Les énergies naturelles doivent être couronnées par les énergies incréées.

La vie sexuelle dans la vie du couple ou des moines, est subordonnée à la vie charismatique et à l’amour du Christ, que ce soit dans sa forme continente ou dans sa forme exercée, de toute façon, elle dépend d’un charisme. Il faut autant de charisme pour avoir une vie sexuelle que de ne pas en avoir.

D’où :

Eros est l’archétype divin de la sexualité

Agape, l’archétype des relations hypostatiques

Philia, le terme archétype des relations d’alliance.

C'est à partir de ces trois termes, que l’on trouve le sens de la sexualité. Ils gouvernent dans leur fond, c’est une proposition de vivre ensemble comme cela, mais c’est probablement inscrit dans notre nature, si tant est qu’une réalité comme l’image de Dieu affecte ainsi l’expérience sexuelle.

La sexualité paradisiaque qui est une sexualité du Royaume est une sexualité dans laquelle la différenciation des sexes est le signe de la communion des personnes et n’est pas un signe de la sexualité animale.

L’être humain se définit pas son besoin, son aspiration, sa capacité à entrer en communion personnelle avec Dieu et avec les autres être humains. Les animaux, les anges n’ont pas cette capacité, puisque ces derniers sont incorporels.

Nous avons la capacité, la possibilité, à travers les actions, des comportements biologiques, de rechercher la communion. C’est le sens ultime de la sexualité. Tous les domaines peuvent être un moyen de communion. Cette communion va se définir à travers : l’éros (désir d’union dans l’altérité), l’agape, la philia.

L’éros divin  va jusqu’au bout de l’union et il accepte de se donner complètement, de faire abnégation complète de Lui-même.

La vie sexuelle a aussi sa dimension d’accueil, d’agape, hospitalité qui définit dans tout son sens la relation amoureuse, dévouement au sens large.

La philia, l’amitié, notion de contrat. Il y a une alliance, une égalité de personnes.

A travers des trois termes : l’éros qui cherche l’union absolue avec autrui, l’agape qui implique l’accueil absolue, et l’amitié, on définit la vie trinitaire.

Pour qu’il y ait relation personnelle,  entre des êtres, communion, il faut qu’il y ait un don de soi absolu à l’autre et perte de soi à l’autre, libéré de toute crainte de se perdre, qu’il y ait accueil absolue de l’autre, sans la peur d’être envahi, et qu’il y ait égalité absolue, alliance qui veut dire vérité, fidélité, confiance.

Père Marc Antoine

Propos extraits des cours théologiques dispensés par le Père Marc Antoine Costa de Beauregard - Institut théologique orthodoxe saint Denis - Paris (avant année 1990)

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