Voie pour entrer dans la vie divine
Dans la voie qui mène à la vie divine, ou
dans celle qui prépare à la régénération en Jésus-Christ, les points
essentiels qui doivent occuper ceux qui y marchent sont:
a) la violence faite à
leur propre volonté; b) la prière; c) l'abstinence; d) les actes de charité; e) la connaissance de la nature et de soi-même.
C'est à la pratique de ces objets que doivent
se livrer ceux qui se trouvent dans la voie même de la régénération mais, dans
cette voie, c'est Jésus-Christ lui-même qui agit dans la nature et dans les
principes qui sont propres à la rénovation, à mesure que son incarnation avance
dans l'âme. Il y porte la lumière de sa grâce et illumine ces pratiques
religieuses d'après les règles et les degrés de la vie surnaturelle.
Mais dans la voie qui ne fait que conduire
encore à la vie divine, la volonté libre de celui qui y marche doit forcer sa
nature et lui faire violence, pour se livrer à ces pratiques.
A.
Le régénère, en qui la parole éternelle se
fait entendre d'une manière distincte, et en qui la volonté de Dieu se
manifeste clairement, n'a qu'à suivre les préceptes de cette parole, et à
soumettre sa volonté propre à la volonté divine.
Mais, dans la voie qui ne fait que conduire
encore à la régénération, avant que cette parole soit vivifiée dans l'âme, nous
devons faire violence à notre volonté propre pour qu'elle accomplisse la
volonté divine. Il faut donc travailler à la connaître, tant par le moyen de la
révélation dans l'Ecriture sainte, que par les écrits des hommes que la grâce
avait illuminés, et conformer rigidement la vie aux règles qu'elle prescrit.
C'est en forçant ainsi la volonté
corrompue de notre nature dégradée, qui est absolument opposée à la volonté
divine, que nous travaillons le plus à nous dépouiller du vieil homme ; c'est
par cette violence que notre âme force le royaume de Dieu.
Il est utile et nécessaire de rompre
souvent sa volonté propre et de lui résister, même dans les plus petites
choses, en le faisant par un zèle ardent pour Jésus-Christ le crucifié. Cette
lutte continuelle contre sa propre volonté, soutenue dans une bonne vue, nous
prépare particulièrement à la vraie abnégation, et attire l'esprit de la grâce.
Il faut aussi suivre la voie de la
conscience, ou du -mouvement le plus intime de notre coeur ; mais il faut user
d'une extrême précaution dans l'examen de ses émotions ; car elles sont très
sujettes à se corrompre, lorsqu'en sortant du sanctuaire de la conscience,
elles passent par une atmosphère épaisse et impure, qui forme une espèce
d'enceinte autour de l'intérieur de notre coeur.
Il faut donc faire violence à sa volonté,
pour qu'elle obéisse à la volonté divine. Par exemple, la volonté de l'homme
déchu le porte uniquement à sa propre jouissance ; et il faut qu'il la tourne à
ce qui est agréable à Dieu, quoi qu'il puisse lui en coûter. Jésus-Christ
commande d'aimer ses ennemis : obligation très pénible à remplir pour la chair
qui s'aime elle-même, et dans laquelle le diable a versé son orgueil ; aussi
l'homme, gouverné encore par ses sens, et qui vit sans l'esprit de
Jésus-Christ, est incapable de la remplir.
Mais que peut-il, que doit-il faire ? Il doit
et il peut se faire violence et lutter intérieurement avec l'inimitié qu'il a
contre son prochain ; il doit se forcer à prier pour lui à s'humilier devant
lui, à lui rendre service, à le bénir, etc.
C'est de la même manière qu'il doit agir
pour remplir tous les devoirs que Dieu nous a imposés ; travaillant constamment
à soumettre notre volonté, et exerçant particulièrement ce travail sur les
mouvements les plus intimes de notre âme.
L'homme, qui se conduit ainsi, se conforme aux
desseins de Dieu, autant que cela est possible à l'homme qui n'est encore que
naturel, et rend sa volonté susceptible de se soumettre immédiatement à la
volonté du Très-Haut, et d'y être absorbée pour ainsi dire, lorsqu'elle vient
établir sa demeure dans l'âme par son incarnation.
La prière ouvre l'âme pour recevoir l'esprit
de grâce, qui l'attire à lui. Elle est un aliment qui donne des forces pour le
combat spirituel. Il faut que la prière soit fondée sur l'abandon. Une humble
résignation à la volonté de Dieu est la meilleure manière de prier.
Si celui qui prie ne peut s'abandonner encore
en lui sacrifiant tous ses désirs, et élever son coeur et sa voix au Seigneur,
en disant : Que votre volonté soit faite, au moins ne doit-il rien
demander dans ses prières que ce qui est conforme à la volonté divine. Il doit
en outre s'efforcer de marquer toujours sa prière du sceau de la résignation à
la volonté paternelle de Dieu; et, s'il lui survient des tentations ou de la
répugnance pendant la prière, il doit invinciblement persister dans son oraison
jusqu'à ce qu'elle ait vaincu par sa force ; il doit combattre, jusqu'à ce que
sa sueur tombe en gouttes de sang. Luc XXII. 42-44.
Nous ne devons demander dans nos prières
que ce qui doit contribuer à la sanctification du nom de Dieu. à
l'agrandissement de son royaume, et à l'accomplissement de sa volonté. La
prière, enseignée par Jésus-Christ,Matthieu VI. 9-13, doit être la base
et la règle de toutes les nôtres.
L'on doit prier au nom de Jésus-Christ,
se portant de toute sa pensée et de tout son coeur vers le Tout-Puissant qui
est présent partout. Il faut, autant qu'il est possible, que la prière se fasse
dans le plus intime du coeur, en y employant ses mouvements les plus cachés.
Qu'on tâche de s'occuper souvent de la
prière, en la faisant dans le secret de son coeur, et y fermant la porte des
sens qui se portent toujours au péché.
Au milieu des dissipations et dans le temps
même où l'on est absorbé dans l'amour des créatures, des retours, même
momentanés, dans le fond de l'âme vers Jésus-Christ préparent l'esprit à
l'onction de la grâce, et procurent de grands avantages.
Outre ce que nous avons dit plus haut de
la manière que l'on doit prier intérieurement - ce qui peut avoir lieu dans
tous les endroits, et au milieu de toutes les occupations - ; outre les prières
qui se font dans le temple avec les chrétiens nos frères, et qui peuvent
beaucoup contribuer à inspirer la dévotion, il est utile, il est même de devoir
de prier une fois par jour, ou plus (le plus souvent serait le mieux), dans un
endroit retiré et écarté de la vue des hommes, comme le veut le Seigneur,
lorsqu'il nous ordonne de prier dans notre cabinet, les portes fermées. Matthieu
VI. 6.
Qu'on prie son Dieu dans cette retraite, et
surtout en se retirant de soi-même, c'est-à-dire de son amour-propre et de la
vaine complaisance en soi-même ; ces passions peuvent corrompre la prière la
plus pure, en nous y faisant rechercher la jouissance de nous-mêmes.
La posture du corps, d'accord avec la
disposition de l'âme, peut et doit dans l'homme physique coopérer à l'oraison.
L'homme-Dieu, Jésus-Christ le Sauveur, qui pour le salut du genre humain se
revêtit parfaitement de la nature humaine, se jeta, le visage contre terre,
et, s'étant mis à genoux, il priait, et il lui vint une sueur comme b des
grumeaux de sang, qui découlaient jusqu'à terre. Matthieu XXVI. 39, Luc
XXII. 41, 44.
C. L'Abstinence.
L'abstinence doit être triple : elle consiste
dans celle de l'âme, celle de l'esprit, et celle des sens.
Quand le Verbe éternel s'est incarné
dans l'âme qu'il régénère, et que l'esprit de Jésus-Christ règne ouvertement et
sensiblement dans son esprit, il doit être parfaitement soumis à la direction
de cet esprit divin, et contenir son esprit écarté de tout ce qui n'est pas en
lui un mouvement de l'esprit de Jésus-Christ.
Mais, quand on n'est que sur la route
qui conduit à la vie divine, c'est-à-dire avant que la lumière de la grâce se
manifeste dans l'âme, et avant que celle-ci entende véritablement retentir en
elle la voix du Verbe éternel, il faut contenir les mouvements de notre esprit,
qui nous portent vers tout ce qui peut mettre obstacle à la manifestation de la
vie divine dans l'âme, ou au commencement de la régénération en Jésus-Christ.
Il faut contenir l'impétuosité des passions,
la convoitise de la chair, la convoitise des yeux et l'orgueil de la vie; il est
surtout nécessaire de lutter dans son coeur contre tout mouvement qui s'oppose
au pur amour. Il faut absolument dompter tout ce qui porte le caractère de
méchanceté et de colère : deux vices diamétralement opposés à l'humilité et à
la charité. L'amour est le premier rayon, le commencement et la fin du règne de
Jésus-Christ dans l'âme, et l'humilité doit être son trône.
Cette continence doit être portée jusque dans
les efforts mêmes que notre âme fait pour le bien, de peur que, par des élans
immodérés et mal placés, elle ne manque le but où elle doit tendre, et que par
là elle ne se plonge dans un abîme de ténèbres et de vices.
Il faut empêcher son esprit non
seulement de s'occuper à des choses manifestement nuisibles, mais même écarter
toutes recherches inutiles, toute connaissance qui porte sur des choses qui ne
sont propres qu'à satisfaire sa curiosité, et qui ne sauraient nous avancer
dans la vie chrétienne, ni nous aider à remplir nos devoirs dans la société,
nos devoirs de citoyens et de sujets.
Dans des occupations de l'esprit, même les
plus utiles, une abstinence qui serve de délassement lui devient salutaire et
nécessaire, de peur que ses forces ne s'épuisent.
Il est encore important d'arrêter la raison
dans les efforts qu'elle fait pour approfondir par elle-même la nature des
mystères qui sont du domaine d'un royaume dans lequel la chair et le sang ne
peuvent pénétrer, et qui ne sont révélés que par l'esprit du Roi et du Seigneur
Jésus-Christ. C'est lui qui découvre lui-même les mystères de son royaume à
ceux qui l'aiment, à proportion de leur avancement dans sa nouvelle vie, suivant
qu'il daigne leur dispenser ses dons.
En contenant les sens dans les bornes
des fonctions qui leur sont assignées dans cette vie d'expiation et d'exil, il
faut les préserver de tout ce qui peut les captiver, de tout ce qui peut
infecter davantage l'âme par eux, et multiplier les liens du péché, liens qui
doivent être rompus jusqu'au fil le plus subtil, pour que l'âme soit
parfaitement purifiée et totalement unie à Jésus-Christ : ce qui est l'objet et
le but de la régénération.
En parlant de l'abstinence par rapport aux
sens, il convient de dire un mot de l'utilité du jeûne, ou de l'abstinence dans
le boire et le manger.
Cette espèce de jeûne est essentiellement
utile pour réprimer les troubles criminels de la chair, laquelle doit être
ramenée dans ses bornes et soumise à l'esprit qui doit la gouverner ; elle doit
obéir à la tempérance, pour que sa corpulence ne devienne pas le siège ne plus
grande puissance de l'ennemi. Le désir impur de la chair, qui est l'instrument
le plus actif de l'ennemi, doit être non seulement dompté, mais détruit jusque
dans son germe, lorsque nous nous dépouillons du vieil homme.
Et, quoique le jeûne doive porter plus sur la
quantité que sur la qualité de notre nourriture, les ordonnances de l'église y
sont cependant d'une grande utilité, en ce qu'elles en font connaître le
véritable objet, et nous disposent à en user dans l'intention pour laquelle il
a été institué.
D. Oeuvres de Charité.
L'amour qui s'est fait chair pour le salut du
monde a donné ce commandement à ses disciples : Aimez vos ennemis, bénissez
ceux qui vous maudissent, faites du bien à ceux qui vous haïssent, priez pour
ceux qui cherchent à vous nuire et qui vous persécutent, faites l'aumône etc.,
comme cela est écrit dans S. Matthieu aux chap. V. VI_ et VII qui
contiennent les préceptes divins de la vie chrétienne.
Ce sont là les actes d'amour qui sont d'une
obligation indispensable pour ceux qui cherchent le royaume de Dieu et sa
justice dans la vie nouvelle en Jésus-Christ.
Quand Jésus-Christ, quand l'amour même
règne visiblement dans l'âme et y accomplit la régénération de l'homme, alors
l'amour y produit lui-même, par son esprit, les actes qui lui sont conformes, à
proportion qu'elle se dépouille du vieil homme ; et alors on peut dire que
l'arbre de vie porte des fruits purs et vivants.
Mais, quand on n'est encore que sur le chemin
qui mène à la vie divine, avant que l'amour de Jésus-Christ commence à agir
sensiblement dans l'âme, on doit forcer ses facultés naturelles à exercer ces
actes de charité d'après les préceptes de l'Évangile.
L'on doit tâcher de produire ces actes
uniquement pour l'amour de Jésus-Christ, en considérant attentivement,
lorsqu'on les fait, le sens intérieur de ce commandement au sujet de l'aumône: Que
ta main gauche ne sache pas ce que fait la droite. Matthieu VI. 3.
Il n'y a d'oeuvres de charité vraies que
celles qui se font par l'esprit de Jésus-Christ, et sans aucun mélange de notre
propriété ; celles qui se font par l'amour pur, parce qu'il n'y a de bon et de
parfait que ce qui provient de cet esprit.
Dieu, qui s'occupe du salut et du bonheur de
sa créature, demande de nous un amour pur et désintéressé, parce qu'il n'y a
que cet amour, en tant que son esprit seul l'opère, qui puisse unir à lui ; et
c'est dans cette union intime que consiste toute la béatitude. La béatitude est
la jouissance inaltérable du bien, et le bien n'est que, ce qui provient de
l'esprit de Dieu; c'est pourquoi Dieu, qui est amour, ne trouve en nous rien
qui lui soit agréable, que ce qui est produit par son esprit.
Les actes d'amour, produits par la
contrainte et par les seules forces de la nature, ne peuvent assurément pas
avoir un motif bien pur, et l'amour-propre s'y mêlera toujours. Dans ce cas
nous devons, aussi vite que possible, jeter un regard sur l'acte que nous avons
fait, examiner avec repentir ce qu'il y avait de répréhensible, et détruire
cette propriété odieuse qui l'avait infecté; c'est par un retour sincère vers
Jésus-Christ que nous pouvons effacer ce qu'il y avait d'impur dans le motif
qui nous conduisait.
Qu'on force son coeur et ses lèvres pour
crier sans cesse vers le Seigneur : O mon Dieu ! crée un coeur pur en moi,
et renouvelle un esprit juste dans mes entrailles.
Il est essentiel qu'un coeur qui appartient
encore au vieil homme, qui est encore infecté de ses impuretés, se fasse même
violence pour exercer des oeuvres de charité ; par là il ouvre dans l'âme le
chemin à l'esprit de Jésus-Christ, à cet esprit de justice, qui crée le coeur
pur, le coeur nouveau, et qui agit en lui à proportion qu'il crée.
E. L'Etude de la nature et de
soi-même.
Il est certain que la sagesse qui a tout créé
a découvert à ses élus qui l'aiment le secret de sa création, par lequel leur
est révélée sa composition la plus intime, et l'action diverse de l'esprit de
la nature, profondément caché et mû par l'esprit de Dieu dans la matière
principe (prima materia), dans cette terre immatérielle dont tout a été
formé (Genèse II. 7.). Depuis la chute des créatures, elle s'est revêtue de
l'enveloppe grossière élémentaire, qui subsistera jusqu'à l'heureux
accomplissement des temps où sortiront d'elle un nouveau ciel et une nouvelle
terre. Apocalypse XXI.
Il est hors de doute qu'une telle révélation
existe en effet ; nous en voyons l'exemple dans
La connaissance vraie et vive du secret
de la création, la vue intuitive de la lumière de la nature, ou la vue de
l'action que son esprit manifeste dans cette terre immatérielle dont j'ai
parlé, et qui est, pour ainsi dire, son véhicule primitif, ne s'obtient que par
la lumière de la grâce qui illumine l'âme dans la vie nouvelle de la
régénération.
Mais la théorie de cette connaissance est
exposée, autant qu'elle peut l'être par le moyen de lettres, dans les écrits
des hommes saints, que cette sagesse qui a tout créé a doués de la lumière de
cette connaissance : ce sont ses élus, destinés à la communiquer seulement à
ceux de ce monde qui y sont appelés d'après le plan éternel de sa divine
économie.
Il y a cependant beaucoup d'hommes saints et
favorisés de Dieu, à qui il n'a pas été donné de contempler l'éclat de cette
lumière dans la nature.
Plusieurs hommes, appartenant à la première
classe des élus, au nombre des âmes les plus purifiées et arrivées même aux
plus hauts degré de la régénération, ont pénétré l'action secrète et intime de
Jésus-Christ dans les âmes et les mystères de la vie future, et ils les ont
décrits ; ils ont eu même le don apostolique de former Jésus-Christ dans les
coeurs des autres ; mais, malgré ces grands avantages, ils n'eurent pas le don
de la connaissance claire de l'organisation intérieure de la création, de
l'essence primitive de la nature, et de l'action de son esprit dans les êtres
créés.
Les voies de la sagesse du Seigneur sont
aussi innombrables qu'incompréhensibles ; mais elles mènent toutes au salut;
elles sont toutes admirables, mystérieuses à la fois et lumineuses. Les rayons
de cet inaccessible soleil de justice sont sans nombre, et chacun d'eux est un
océan de lumière et de vérité.
La connaissance vivante de la nature est
avantageuse à celui même qui est déjà avancé dans la voie de la régénération en
Jésus-Christ. Elle sert à l'affermir et le fortifier, en lui donnant une idée
plus vaste de la grandeur et de la bonté de celui qui le régénère, d'autant
plus que dans les chutes et les achoppements oui se rencontrent sur a voie même
de la régénération, cette connaissance de la nature est utile, comme servant d'encouragement,
et de soutien dans la foi que l'ennemi s'efforce d'affaiblir, dans les âmes qui
sont déjà prêtes à être unies à Jésus-Christ, notre Sauveur.
Quels avantages ne doit-on pas se
promettre, dans ces occasions, de la connaissance qui manifeste dans la plus
petite des créatures, dans la plante là plus chétive, l'image du Verbe incarné,
et de tout ce qu'il a opéré pour notre salut ; l'image de tous ses mystères, de
sa conception dans le sein de
La vraie connaissance de soi-même
se découvre par degré à l'homme, lorsqu'il se dépouille du vieil homme et qu'il
marche dans la vie nouvelle divine. Eph. IV. 22. 23. 24. La lumière de
la grâce, en éclairant l'homme qui est dans la voie de la régénération, lui
ouvre les yeux intérieurs, à proportion qu'il croît et grandit dans cette voie
; elle dissipe devant lui les ténèbres que le péché y répand, et qui le
cachaient à lui-même. Alors se déchire le voile de l'aveuglement, et l'homme
voit l'abîme où sa chute l'entraînait ; il ressent vivement toute l'horreur du
péché et toute sa misère, qui n'a d'autre source que dans son coeur qui s est
éloigné de l'amour de Dieu.
La croix intérieure purifie par des
souffrances salutaires tout le limon des péchés, et en dissipe l'affreux amas
que le péché originel avait accumulé ; elle renverse la haie épaisse qu'élève
le coeur charnel et impur ; par là elle ouvre une voie libre à la naissance du
coeur spirituel, pur, et nouveau; elle rompt jusqu'au dernier fil le vieux
vêtement de l'âme qui enveloppe le nid du péché ; alors le moi, cette
racine du péché, se montre à nu et a horreur de lui-même.
Cette croix intérieure et salutaire, pour
accomplir son oeuvre, refond dans le creuset de la purification tout l'être du
régénéré, et efface jusqu'aux dernières traces toute l'impureté du vieil homme
; car, tant qu'il y reste encore la moindre tache de cette souillure, le
royaume de Dieu ne peut se manifester à l'âme dans toute sa plénitude, et Dieu
ne saurait y établir sa demeure.
Le feu de la croix, ou le baptême du feu
(Matthieu 111. 11) doit enfin détruire le dernier recoin du péché et emporter
jusqu'à la plus petite fibre de cette racine de tout mal, qui est le moi et qui
doit être anéanti.
Ce dernier effet de la croix intérieure
découvre à l'homme la connaissance la plus sublime de lui-même ; car il lui
fait sentir vivement, et dans toute son étendue, quelle est sa bassesse et son
néant ; cet effet est à la fois infiniment cruel et doux pour le pécheur qui,
connaissant parfaitement à quel point il est criminel devant Dieu, se repent et
fait des efforts pour s'unir inséparablement à lui par le pur amour.
O douleur affreuse et salutaire ! ô mort par
laquelle on ressuscite à la vraie vie, avant-coureur d'une béatitude
inaltérable et éternelle ! Col. 111. 1.3. 4.
Mais, pour ceux qui ne font encore
qu'entrer dans la voie qui conduit la vie intérieure et divine, il leur est
utile de s'avancer dans la connaissance de soi-même par les écrits des vrais
philosophes qui contiennent la théorie de cette connaissance puisée dans la
lumière de l'école céleste.
Instruit ainsi dans cette connaissance, on
doit soigneusement en étudier les préceptes, s'examiner soi-même, observer les
mouvements de son coeur, les motifs et toutes les causes secrètes qui le font
agir.
Cette étude nous procurera de grandes lumières sur nous-mêmes. Souvent nous nous verrons absolument faibles, stupides, déshonnêtes, méprisables et précisément là où nous nous imaginions être forts, raisonnables, vertueux, dignes des hommages et du respect des autres. Nous verrons que les mêmes œuvres, que notre esprit, notre justice et notre amour imaginaires nous représentaient comme les plus belles de notre vie, ne sont dans le fond que des sacrifices portés à l'idole hideuse du vil intérêt et de notre amour-propre, et combien nous sommes éloignés de cet amour pur et désintéressé, qui de tout bien est le commencement et la fin.
Spiritualité orthodoxe